Faydit[1] et Gueudeville[2] furent les premiers critiques qui contestèrent au Télémaque le titre de poëme contre l’autorité d’Aristote et de leur siècle : c’est un fait assez singulier. Depuis cette époque, Voltaire et La Harpe ont déclaré qu’il n’y avait point de poëme en prose : ils étoient fatigués et dégoûtés par les imitations que l’on avoit faites du Télémaque. Mais cela est-il bien juste ? Parce qu’on fait tous les jours de mauvais vers, faut-il condamner tous les vers ? et n’y a-t-il pas des épopées en vers d’un ennui mortel ?
Si le Télémaque n’est pas un poëme, que sera-t-il ? Un roman ? Certainement le Télémaque diffère encore plus du roman que du poëme, dans le sens où nous entendons aujourd’hui ces deux mots.
Voilà l’état de la question : je laisse la décision aux habiles. Je passerai, si l’on veut, condamnation sur le genre de mon ouvrage ; je répéterai volontiers ce que j’ai dit dans la préface d’Atala : vingt beaux vers d’Homère, de Virgile ou de Racine, seront toujours incomparablement au-dessus de la plus belle prose du monde. Après cela, je prie les poëtes de me pardonner d’avoir invoqué les Filles de Mémoire pour m’aider à chanter les Martyrs. Platon, cité par Plutarque, dit qu’il emprunte le nombre à la poésie, comme un char pour s’envoler au ciel. J’aurois bien voulu monter aussi sur ce char, mais j’ai peur que la divinité qui m’inspire ne soit une de ces Muses inconnues sur l’Hélicon, qui n’ont point d’ailes, et qui vont à pied, comme dit Horace, Musa pedestris.