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et j’ai été voir les sites que je voulais peindre. Quand mon ouvrage n’aurait d’ailleurs aucun autre mérite, il aurait du moins l’intérêt d’un voyage fait aux lieux les plus fameux de l’histoire. J’ai commencé mes courses aux ruines de Sparte, et je ne les ai finies qu’aux débris de Carthage, en passant par Argos, Corinthe, Athènes, Constantinople, Jérusalem et Memphis. Ainsi, en lisant les descriptions qui se trouvent dans les Martyrs, le lecteur peut être assuré que ce sont des portraits ressemblants, et non des descriptions vagues et ambitieuses. Quelques-unes de ces descriptions sont même tout à fait nouvelles : aucun voyageur moderne, du moins que je sache [Coronelli, Pellegrin, La Guilletière, et plusieurs autres Vénitiens, ont parlé de Lacédémone, mais de la manière la plus vague et la moins satisfaisante. M. de Pouqueville, excellent pour tout ce qu’il a vu, parait avoir été trompé sur Misitra, qui n’est point Sparte. Misitra est bâtie à deux lieues de l’Eurotas, sur une croupe du Taygète. Les ruines de Sparte se trouvent à un village appelé Magoula. (N.d.A.)], n’a donné le tableau de la Messénie, d’une partie de l’Arcadie et de la vallée de la Laconie. Chandler, Wheler, Spon, Le Roy, M. de Choiseul, n’ont point visité Sparte ; M. Fauvel et quelques Anglais ont dernièrement pénétré jusqu’à cette ville célèbre, mais ils n’ont point encore publié le résultat de leurs travaux. La peinture de Jérusalem et de la mer Morte est également fidèle. L’église du Saint-Sépulcre, la Voie douloureuse (Via dolorosa), sont telles que je les représente. Le fruit que mon héroïne cueille au bord de la mer Morte, et dont on a nié l’existence, se trouve partout à deux ou trois lieues au midi de Jéricho ; l’arbre qui le porte est une espèce de citronnier. J’ai moi-même apporté, plusieurs de ces fruits en France [Ce voyage, uniquement entrepris pour voir et peindre les lieux où je voulais placer la scène des Martyrs, m’a nécessairement fourni une foule d’observations étrangères à mon sujet : j’ai recueilli des faits importants sur la géographie de la Grèce, sur l’emplacement de Sparte, sur Argos, Mycènes, Corinthe, Athènes, etc. Pergame, dans la Mysie, Jérusalem, la mer Morte, l’Égypte, Carthage, dont les ruines sont beaucoup plus curieuses qu’on ne le croit généralement, occupent une partie considérable de mon journal. Ce journal, dépouillé des descriptions qui se trouvent dans les Martyrs, pourrait encore avoir quelque intérêt. Je le publierai peut-être un jour sous le titre d’Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en passant par la Grèce, et revenant par l’Égypte, la Barbarie et l’Espagne. (N.d.A.)].

Voilà ce que j’ai fait pour rendre les Martyrs un peu moins indignes de l’attention publique. Heureux si le souffle poétique qui anime les ruines d’Athènes et de Jérusalem se fait sentir dans mon ouvrage ! Je n’ai point parlé de mes études et de mes voyages par une vaine ostentation, mais pour montrer la juste défiance que j’ai de mes talents et les soins que je prends d’y suppléer par tous les moyens qui sont à ma disposition. On doit