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sion et les grâces ; la grandeur de l’âme, la dignité du caractère, l’autorité de la raison, furent le partage du premier ; la seconde eut la beauté, la tendresse et des séductions invincibles. Tel est, Cymodocée, le modèle de la femme chrétienne. Si vous consentiez à l’imiter, je tâcherois de vous gagner à moi, au nom de tous les attraits qui gagnent les cœurs ; je vous rendrois mon épouse par une alliance de justice, de compassion et de miséricorde ; je régnerois sur vous, Cymodocée, parce que l’homme est fait pour l’empire, mais je vous aiinerois comme une grappe de raisin que l’on trouve dans un désert brûlant. Semblables aux patriarches, nous serions unis dans la vue de laisser après nous une famille héritière des bénédictions de Jacob : ainsi le fils d’Abraham prit dans sa tente la fille de Bathuel ; il en eut tant de joie qu’il oublia la mort de sa mère. »

À ces mots Cymodocée verse des larmes de honte et de tendresse.

« Guerrier, dit-elle, tes paroles sont douces comme du miel et perçantes comme des flèches. Je vois bien que les chrétiens savent parler le langage du cœur. J’avois dans l’âme tout ce que tu viens de dire. Que ta religion soit la mienne, puisqu’elle enseigne à mieux aimer ! »

Eudore, n’écoutant plus que son amour et sa foi :

« Quoi ! Cymodocée, vous voudriez devenir chrétienne, je donnerois un pareil ange au ciel, une pareille compagne à mes jours ! »

Cymodocée baissa la tête, et répondit :

« Je n’ose plus parler avant que tu n’aies achevé de m’enseigner la pudeur : elle avoit quitté la terre avec Némésis ; les chrétiens l’auront fait descendre du ciel. »

Un mouvement du fils de Lasthénès fit alors rouler à terre un crucifix ; la jeune Messénienne poussa un cri de surprise mêlé d’une sorte de frayeur.

« C’est l’image de mon Dieu, dit Eudore en relevant avec respect le bois sacré, de ce Dieu descendu au tombeau et ressuscité plein de gloire. »

« C’est donc, repartit la fille d’Homère, comme le beau jeune homme de l’Arabie, pleuré des femmes de Byblos et rendu à la lumière des cieux par la volonté de Jupiter ? »

« Cymodocée, répliqua Eudore avec une douce sévérité, vous connoîtrez quelque jour combien cette comparaison est impie et sacrilège ; au lieu des mystères de honte et de plaisir, vous voyez ici des miracles de modestie et de douleur ; vous voyez le fils du Tout-Puissant attaché à une croix pour nous ouvrir le ciel et pour mettre en honneur sur la terre l’infortune, la simplicité et l’innocence. Mais au bord du Ladon, sous les ombrages de l’Arcadie, au milieu d’une nuit enchantée, dans ce pays où l’imagination des poëtes a placé l’amour et le bonheur,