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Cymodocée s’avançoit involontairement vers le lieu où le fils de Lasthénès avoit achevé de conter son histoire. Lorsqu’une chevrette des Pyrénées s’est reposée pendant le jour avec le pasteur au fond d’un vallon, si la nuit, s’échappant de la crèche, elle vient chercher le pâturage accoutumé, le berger la retrouve le matin sous le cytise en fleur qu’il a choisi pour abri : ainsi la fille d’Homère monte peu à peu vers la grotte habitée par le chasseur arcadien. Tout à coup elle entrevoit comme une ombre immobile à l’entrée de cette grotte ; elle croit reconnoître Eudore. Elle s’arrête ; ses genoux tremblent sous elle ; elle ne peut ni fuir ni avancer. C’étoit le fils de Lasthénès lui-même ; il prioit environné des marques de sa pénitence : le cilice, la cendre, la tête blanchie d’un martyr, excitoient ses larmes et animoient sa foi. Il entend les pas de Cymodocée, il voit cette vierge charmante prête à tomber sur la terre, il vole à son secours, il la soutient dans ses bras, il se défend à peine de la presser sur son cœur. Ce n’est plus ce chrétien si grave, si rigide : c’est un homme plein d’indulgence et de tendresse, qui veut attirer une âme à Dieu et obtenir une épouse divine.

Comme un laboureur porte doucement à la bergerie l’agneau que la ronce a déchiré, ainsi le fils de Lasthénès enlève dans ses bras Cymodocée, et la dépose sur un banc de mousse à l’entrée de la grotte. Alors la fille de Démodocus, d’une voix tremblante :

« Me pardonneras-tu d’avoir encore troublé tes mystères ? Un dieu, je ne sais quel dieu, m’a égarée comme la première nuit. »

« Cymodocée, répondit Eudore aussi tremblant que la prêtresse des Muses, ce Dieu qui vous a égarée est mon Dieu, mon Dieu qui vous cherche et qui veut peut-être vous donner à moi. »

La fille d’Homère répliqua :

« Ta religion défend aux jeunes hommes de s’attacher aux jeunes filles et aux jeunes filles de suivre les pas des jeunes hommes : tu l’as aimé que lorsque tu étois infidèle à ton Dieu. »

Cymodocée rougit. Eudore s’écria :

« Ah ! je n’ai jamais aimé quand j’offensois ma religion. Je le sens, à présent que j’aime par la volonté de mon Dieu. »

Le baume que l’on verse sur la blessure, l’eau fraîche qui désaltère le voyageur fatigué, ont moins de charmes que ces paroles échappées au fils de Lasthénès. Elles pénètrent de joie le cœur de Cymodocée. Comme deux peupliers s’élèvent silencieux au bord d’une source, pendant le calme d’une nuit d’été, ainsi les deux époux désignés par le ciel demeuroient immobiles et muets à l’entrée de la grotte. Cymodocée rompit la première le silence :

« Guerrier, pardonne aux demandes importunes d’une Messénienne