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femme idolâtre ; si, la prenant pour son épouse, il lui ouvroit à la fois les portes du ciel et les portes de la chambre nuptiale ! Quel bonheur pour un chrétien !

Le soleil se plongeoit dans la mer des Atlantides et doroit de ses derniers rayons les îles Fortunées, lorsque Démodocus voulut quitter la famille chrétienne ; mais Lasthénès lui représenta que la nuit étoit pleine d’embûches et de périls. Le prêtre d’Homère consentit à attendre chez son hôte le retour de l’aurore. Retirée à son appartement, Cymodocée repassoit dans son esprit ce qu’elle savoit de l’histoire d’Eudore ; ses joues étoient colorées, ses yeux brilloient d’un feu inconnu. La brûlante insomnie chasse enfin de sa couche la prêtresse des Muses. Elle se lève : elle veut respirer la fraîcheur de la nuit, et descend dans les jardins, sur la pente de la montagne.

Suspendue au milieu du ciel de l’Arcadie, la lune étoit presque, comme le soleil, un astre solitaire : l’éclat de ses rayons avoit fait disparoître les constellations autour d’elle ; quelques-unes se montroient çà et là dans l’immensité : le firmament, d’un bleu tendre, ainsi parsemé de quelques étoiles, ressembloit à un lit d’azur chargé des perles de la rosée. Les hauts sommets du Cyllène, les croupes du Pholoé et du Telphusse, les forêts d’Anémose et de Phalante, formoient de toutes parts un horizon confus et vaporeux. On entendoit le concert lointain des torrents et des sources qui descendent des monts de l’Arcadie. Dans le vallon où l’on voyoit briller ses eaux, Alphée sembloit suivre encore les pas d’Aréthuse, Zéphyre soupiroit dans les roseaux de Syrinx, et Philomèle chantoit dans les lauriers de Daphné au bord du Ladon.

Cette belle nuit rappelle à la mémoire de Cymodocée cette autre nuit qui la conduisit auprès du jeune homme semblable au chasseur Endymion. À ce souvenir, le cœur de la fille d’Homère palpite avec plus de vitesse. Elle se retrace vivement la beauté, le courage, la noblesse du fils de Lasthénès ; elle se souvient que Démodocus a prononcé quelquefois le nom d’époux en parlant d’Eudore. Quoi ! pour échapper à Hiéroclès, se priver des douceurs de l’hyménée, ceindre pour toujours son front des bandelettes glacées de la vestale ! Aucun mortel, il est vrai, n’avoit été jusque alors assez puissant pour oser unir son sort au sort d’une vierge désirée d’un gouverneur impie ; mais Eudore, triomphateur et revêtu des dignités de l’empire, Eudore, estimé de Dioclétien, adoré des soldats, chéri du prince héritier de la pourpre, n’est-il pas le glorieux époux qui peut défendre et protéger Cymodocée ? Ah ! c’est Jupiter, c’est Vénus, c’est l’Amour, qui ont conduit eux-mêmes le jeune héros aux rivages de la Messénie.