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d’Ulysse égal aux dieux pour sa sagesse. Il laisse à sa gauche Pylos, Sphactérie, Mothone ; il s’enfonce dans le golfe de Messénie, et son vaisseau rapide, abandonnant les flots amers, vient enfin arrêter sa course dans les eaux tranquilles du Pamisus.

Tandis que, semblable à un sombre nuage levé sur les mers, Hiéroclès s’approche de la patrie des dieux et des héros, l’ange des saintes amours étoit descendu dans la grotte du fils de Lasthénès : ainsi le fils supposé d’Ananias s’offrit au jeune Tobie pour le conduire auprès de la fille de Raguel. Lorsque Dieu veut mettre dans le cœur de l’homme ces chastes ardeurs d’où sortent des miracles de vertu, c’est au plus beau des esprits du ciel que ce soin important est confié. Uriel est son nom ; d’une main il tient une flèche d’or tirée du carquois du Seigneur, de l’autre un flambeau allumé au foudre éternel. Sa naissance ne précéda point celle de l’univers : il naquit avec E Ève, au moment même où la première femme ouvrit les yeux à la lumière récente. La puissance créatrice répandit sur le chérubin ardent un mélange des grâces séduisantes de la mère des humains et des beautés mâles du père des hommes : il a le sourire de la pudeur et le regard du génie. Quiconque est frappé de son trait divin, ou brûlé de son flambeau céleste, embrasse avec transport les dévouements les plus héroïques, les entreprises les plus périlleuses, les sacrifices les plus douloureux. Le cœur ainsi blessé connoît toutes les délicatesses des sentiments ; sa tendresse s’accroît dans les larmes et survit aux désirs satisfaits. L’amour n’est point pour ce cœur un penchant borné et frivole, mais une passion grande et sévère, dont la noble fin est de donner la vie à des êtres immortels.

L’ange des saintes amours allume dans le cœur du fils de Lasthénès une flamme irrésistible : le chrétien repentant se sent brûler sous le cilice, et l’objet de ses vœux est une infidèle ! Le souvenir de ses erreurs passées alarme Eudore : il craint de retomber dans les fautes de sa première jeunesse ; il songe à fuir, à se dérober au péril qui le menace : ainsi, lorsque la tempête n’a point encore éclaté, que tout paroît tranquille sur le rivage, que des vaisseaux imprudents osent déployer leurs voiles et sortir du port, le pêcheur expérimenté secoue la tête au fond de sa barque, et appuyant sur la rame une main robuste, il se hâte de quitter la haute mer, afin de se mettre à l’abri derrière un rocher. Cependant un véritable amour s’est glissé pour la première fois dans le sein d’Eudore. Le fils de Lasthénès s’étonne de la timidité de ses sentiments, de la gravité de ses projets, si différents de cette hardiesse de désirs, de cette légèreté de pensées qu’il portoit jadis dans ses attachements. Ah ! s’il pouvoit convertir à Jésus-Christ cette