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retentir les antres sacrés ; chaque moment apporte à Rome la nouvelle d’un nouveau prodige : le Nil a retenu le produit de ses eaux ; la foudre gronde, la terre tremble, les volcans vomissent des flammes ; la peste et la famine ravagent les provinces de l’Orient ; l’Occident est troublé par des séditions dangereuses et des guerres étrangères : tout est attribué à l’impiété des chrétiens.

Dans la vaste enceinte du palais de Dioclétien, au milieu du jardin des Thermes, s’élevoit un cyprès qu’arrosoit une fontaine. Au pied de ce cyprès étoit un autel consacré à Romulus. Tout à coup un serpent, le dos marqué de taches sanglantes, sort en sifflant de dessous l’autel ; il embrasse le tronc du cyprès. Parmi le feuillage, sur le rameau le plus élevé, trois passereaux étoient cachés dans leur nid : l’horrible dragon les dévore ; la mère vole à l’entour en gémissant ; l’impitoyable reptile la saisit bientôt par les ailes et l’enveloppe malgré ses cris. Dioclétien, effrayé de ce prodige, fait appeler Tagès, chef des aruspices. Gagné secrètement par Galérius, et fanatique adorateur des idoles, Tagès s’écrie :

« Ô prince ! le dragon représente la religion nouvelle prête à dévorer les deux césars et le chef de l’empire. Hâtez-vous de détourner les effets de la colère céleste, en punissant les ennemis des dieux. »

Alors le Tout-Puissant prend dans sa main les balances d’or où sont pesées les destinées des rois et des empires : le sort de Dioclétien fut trouvé léger. À l’instant l’empereur, rejeté, sent en lui quelque chose d’extraordinaire : il lui semble que son bonheur l’abandonne, et que les Parques, fausses divinités qu’il adore, filent plus rapidement ses jours. Une partie de sa prudence accoutumée lui échappe. Il ne voit plus aussi clairement les hommes et leurs passions ; il se laisse entraîner aux siennes : il veut que les officiers chrétiens de son palais sacrifient aux dieux, et il ordonne qu’il soit fait un dénombrement exact des fidèles dans tout l’empire.

Galérius est transporté de joie. Comme un vigneron, possesseur d’un terrain fameux dans les vallons du Tmolus, se promène entre les ceps de sa vigne en fleur, et compte déjà les flots de vin pur qui rempliront la coupe des rois ou le calice des autels : ainsi Galérius voit couler en espérance les torrents du sang précieux que lui promet le christianisme florissant. Les proconsuls, les préfets, les gouverneurs des provinces, quittent la cour pour exécuter l’ordre de Dioclétien. Hiéroclès baise humblement le bas de la toge de Galérius, et faisant un effort, comme un homme qui va s’immoler à la vertu, il ose lever un regard humilié vers César :

« Fils de Jupiter, lui dit-il, prince sublime, amateur de la sagesse,