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le prophète de Patmos, la patiente Éphèse, Smyrne l’affligée, Pergame remplie de foi, la charitable Thyatire, Sardes, mise au rang des morts, Laodicée, qui doit acheter des habits blancs, et Philadelphie, aimée de celui qui possède la clef de David. J’eus le bonheur de rencontrer à Byzance le jeune prince Constantin, qui daigna me presser dans ses bras et me confier ses vastes projets. Je vous revis enfin, ô mes parents ! après dix années d’absence et de malheurs ! Si le ciel exauçoit mes vœux, je ne quitterois plus les vallons de l’Arcadie : heureux d’y passer mes jours dans la pénitence, et d’y dormir après ma mort dans le tombeau de mes pères ! »

Ces dernières paroles mirent fin au récit d’Eudore : les vieillards qui l’écoutoient demeurèrent quelque temps en silence. Lasthénès remercioit Dieu au fond du cœur de lui avoir donné un tel fils ; Cyrille n’avoit plus rien à dire à un jeune homme qui avouoit ses fautes avec tant de candeur ; il le regardoit même avec un mélange de respect et d’admiration, comme un confesseur appelé par le ciel aux plus hautes destinées. Démodocus étoit presque effrayé du langage inconnu et des vertus incompréhensibles d’Eudore. Les trois vieillards se lèvent avec majesté comme trois rois, et rentrent au foyer de Lasthénès. Cyrille, après avoir offert pour Eudore le redoutable sacrifice, prend congé de ses hôtes et retourne à Lacédémone. Eudore se retire dans la grotte témoin de sa pénitence. Démodocus, resté seul avec sa fille, la serre tendrement dans ses bras, et lui dit avec un pressentiment triste :

« Fille de Démodocus, tu seras peut-être aussi malheureuse à ton tour, car Jupiter dispose de nos destinées. Mais tu imiteras Eudore. L’adversité a augmenté les vertus de ce jeune homme. Les vertus les plus rares ne sont pas toujours le résultat de cette lente maturité que l’âge amène : la grappe encore verte, tordue par la main du vigneron et flétrie sur le cep avant l’automne, donne le plus doux vin aux bords de l’Alphée et sur les coteaux de l’Érymanthe. »


fin du livre onzième.