Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont occupées par les vivants morts aux passions de la terre. Les dieux, forcés dans leurs temples, retournent au fleuve ou à la charrue. Le cri de triomphe s’élève depuis la pyramide de Chéops jusqu’au tombeau d’Osymandué. La postérité de Joseph rentre dans la terre de Gessen ; et cette conquête due aux larmes des vainqueurs ne coûte pas une larme aux vaincus ! »

« Paul suspendit un moment son discours ; ensuite, reprenant la parole :

« Eudore, dit-il, vous n’abandonnerez plus les rangs des soldats de Jésus-Christ ? Si vous n’êtes pas rebelle à la voix du ciel, quelle couronne vous attend ! Quelle gloire sera répandue sur vous ! Eh, mon fils ! que chercheriez-vous à présent parmi les hommes ? Le monde pourroit-il vous toucher ? Voudriez-vous, ainsi que l’infidèle Israélite, mener des danses autour du veau d’or ? Savez-vous quelle fin menace cet empire, qui depuis longtemps écrase le genre humain ? Les crimes des maîtres du monde amèneront bientôt le jour de la vengeance. Ils ont persécuté les fidèles, ils se sont remplis du sang des martyrs, comme les coupes et les cornes de l’autel… »

« Paul s’interrompit de nouveau. Il étendit ses bras vers le mont Horeb, ses yeux s’animèrent, une flamme parut sur sa tête, son front ridé brilla tout à coup d’une jeunesse divine ; le nouvel Élie s’écria :

« D’où viennent ces familles fugitives qui cherchent un abri dans l’antre du solitaire ? qui sont ces peuples sortis des quatre régions de la terre ? Voyez-vous ces hideux cadavres, enfants impurs des démons et des sorcières de la Scythie[a] ? Le fléau de Dieu les conduit[b]. Leurs chevaux sont plus légers que les léopards ; ils assemblent des troupes de captifs comme des monceaux de sable ! Que veulent ces rois vêtus de peaux de bêtes, la tête couverte d’un chapeau barbare[c], ou les joues peintes d’une couleur verte[d] ? Pourquoi ces hommes nus égorgent-ils les prisonniers autour de la ville assiégée[e] ? Arrêtez : ce monstre a bu le sang du Romain qu’il avoit abattu[f] ! Tous viennent du désert d’une terre affreuse ; tous marchent vers la nouvelle Babylone. Es-tu tombée, reine des cités ? Ton Capitole est-il caché dans la poussière ? Que tes campagnes sont désertes ! Quelle solitude autour de toi !… Mais, ô prodige ! la croix paroît au milieu de ce tourbillon de poussière ! Elle s’élève sur Rome ressuscitce ! Elle en marque les édifices. Père des anachorètes, Paul, réjouis-toi avant de mourir ! tes enfants occupent les ruines du palais des césars ; les portiques où la

  1. Les Huns.
  2. Attila.
  3. Les Goths.
  4. Les Lombards.
  5. Les Francs et les Vandales.
  6. Le Sarrasin.