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« Nous marchâmes tout un jour dans cette plaine. Nous franchîmes une autre chaîne de montagnes, et nous découvrîmes une seconde plaine plus vaste et plus désolée que la première.

« La nuit vint. La lune éclairoit le désert vide : on n’apercevoît, sur une solitude sans ombre, que l’ombre immobile de notre dromadaire et l’ombre errante de quelques troupeaux de gazelles. Le silence n’étoit interrompu que par le bruit des sangliers qui broyoient des racines flétries, ou par le chant du grillon qui demandoit en vain dans ce sable inculte le foyer du laboureur.

« Nous reprîmes notre route avant le retour de la lumière. Le soleil se leva dépouillé de ses rayons et semblable à une meule de fer rougie. La chaleur augmentoit à chaque instant. Vers la troisième heure du jour le dromadaire commença à donner des signes d’inquiétude : il enfonçoit ses naseaux dans le sable et souffloit avec violence. Par intervalle, l’autruche poussoit des sons lugubres. Les serpents et les caméléons se hâtoient de rentrer dans le sein de la terre. Je vis le guide regarder le ciel et pâlir. Je lui demandai la cause de son trouble.

« Je crains, dit-il, le vent du midi ; sauvons-nous. »

« Tournant le visage au nord, il se mit à fuir de toute la vitesse de son dromadaire. Je le suivis : l’horrible vent qui nous menaçoit étoit plus léger que nous.

« Soudain de l’extrémité du désert accourt un tourbillon. Le sol emporté devant nous manque à nos pas, tandis que d’autres colonnes de sable, enlevées derrière nous, roulent sur nos têtes. Égaré dans un labyrinthe de tertres mouvants et semblables entre eux, le guide déclare qu’il ne reconnoît plus sa route ; pour dernière calamité, dans la rapidité de notre course, les outres remplies d’eau s’écoulent. Haletants, dévorés d’une soif ardente, retenant fortement notre haleine dans la crainte d’aspirer des flammes, la sueur ruisselle à grands flots de nos membres abattus. L’ouragan redouble de rage : il creuse jusqu’aux antiques fondements de la terre, et répand dans le ciel les entrailles brûlantes du désert. Enseveli dans une atmosphère de sable embrasé, le guide échappe à ma vue. Tout à coup j’entends son cri ; je vole à sa voix : l’infortuné, foudroyé par le vent de feu, étoit tombé mort sur l’arène, et son dromadaire avoit disparu.

« En vain j’essayai de ranimer mon malheureux compagnon. Mes efforts furent inutiles. Je m’assis à quelque distance, tenant mon cheval en main, et n’espérant plus que dans celui qui changea les feux de la fournaise d’Azarias en un vent frais et une douce rosée. Un acacia qui croissoit dans ce lieu me servit d’abri. Derrière ce frêle