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« Pardonnez, seigneurs, à cette image empruntée d’une source impure. Plein d’admiration pour Alexandre, je rentrai dans l’intérieur de la bibliothèque ; je découvris une salle que je n’avois point encore parcourue. À l’extrémité de cette salle, je vis un petit monument de verre qui réfléchissoit les feux du soleil couchant. Je m’en approchai ; c’étoit un cercueil : le cristal transparent me laissa voir au fond du cercueil un roi mort à la fleur de l’âge, le front ceint d’une couronne d’or, et environné de toutes les marques de la puissance. Ses traits immobiles conservoient encore des traces de la grandeur de l’âme qui les anima ; il sembloit dormir du sommeil de ces vaillants qui sont tombés morts et qui ont mis leur épée sous leur tête.

« Un homme étoit assis près du cercueil : il paroissoit profondément occupé d’une lecture. Je jetai les yeux sur son livre : je reconnus la Bible des Septante qu’on m’avoit déjà montrée. Il la tenoit déroulée à ce verset des Machabées :

« Lorsque Alexandre eut vaincu Darius, il passa jusqu’à l’extrémité du monde, et la terre se tut devant lui. Après cela il connut qu’il devoit bientôt mourir. Les grands de sa cour prirent tous le diadème après sa mort, et les maux se multiplièrent sur la terre. »

« Dans ce moment je reportai mes regards sur le cercueil : le fantôme qu’il renfermoit me parut avoir quelque ressemblance avec les bustes d’Alexandre… Celui devant qui la terre se taisoit, réduit à un éternel silence ! Un obscur chrétien assis près du cercueil du plus fameux des conquérants, et lisant dans la Bible l’histoire et les destinées de ce conquérant ! Quel vaste sujet de réflexions ! Ah ! si l’homme, quelque grand qu’il soit, est si peu de chose, qu’est-ce donc que ses œuvres ? disois-je en moi-même. Cette superbe Alexandrie périra à son tour comme son fondateur. Un jour, dévorée par les trois déserts qui la pressent, la mer, les sables et la mort la reprendront connue un bien envahi sur eux, et l’Arabe reviendra planter sa tente sur ses ruines ensevelies !

« Le lendemain de cette journée, je m’embarquai pour Memphis. Nous nous trouvâmes bientôt au milieu de la mer, dans les eaux rougissantes du Nil. Quelques palmiers qui sembloient plantés dans les flots nous annoncèrent ensuite une terre que l’on ne voyoit point encore. Le sol qui les portoit s’éleva peu à peu au-dessus de l’horizon. On découvrit par degrés les sommets confus des édifices de Canope ; et l’Égypte enfin, toute brillante d’une inondation nouvelle, se montre à nos yeux comme une génisse féconde qui vient de se baigner dans les flots du Nil.

« Nous entrâmes à pleines voiles dans le fleuve. Les mariniers le