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dez, parce que vous appartenez au peuple romain. L’empereur seul a le droit de prononcer sur votre sort. Rendez-vous donc auprès de lui, sollicitez votre retraite, et si Auguste vous refuse, revenez trouver César. »

« Je remis le commandement de l’Armorique au tribun qui me devoit remplacer ; j’embrassai Clair, et, plein d’attendrissement et de remords, j’abandonnai les bois et les bruyères qu’avoit habités Velléda. Je m’embarquai au port de Nîmes, j’arrivai à Ostie, et je revis cette Rome, théâtre de mes premières erreurs. En vain quelques jeunes amis voulurent me rappeler à leurs fêtes, ma tristesse corrompoit la joie du banquet ; en affectant de sourire, je tenois longtemps la coupe à mes lèvres pour cacher les pleurs qui tomboient de mes yeux. Prosterné devant le chef des chrétiens, qui m’avoit retranché de la communion des fidèles, je le suppliai de me réunir au troupeau. Marcellin m’admit au repentir ; il me fit même espérer que mon épreuve seroit abrégée, et que la maison du Seigneur me seroit rouverte après cinq ans, si je persévérois dans la pénitence.

« Il ne me restoit plus qu’à porter mes prières aux pieds de Dioclétien : il étoit encore en Égypte. Je ne voulus point attendre son retour, et je me déterminai à passer en Orient.

« Il y avoit au môle de Marc-Aurèle un de ces vaisseaux chrétiens que les évêques d’Alexandrie envoient dans les temps de disette porter du blé destiné au soulagement des pauvres. Ce vaisseau étoit prêt à faire voile pour l’Égypte : je m’y embarquai. La saison étoit favorable. Nous levâmes l’ancre, et nous nous éloignâmes rapidement des côtes de l’Italie.

« Hélas ! j’avois déjà traversé cette mer en sortant pour la première fois de mon Arcadie ! J’étois jeune alors, plein d’espérance ; je revois gloire, fortune, honneurs ; je ne connoissois le monde que par les songes de mon imagination. « Aujourd’hui, me disois-je, quelle différence ! je reviens de ce monde, et qu’ai-je appris dans ce triste pèlerinage ? »

« L’équipage étoit chrétien : les devoirs de notre religion accomplis sur le vaisseau sembloient augmenter la majesté de la scène. Si tous ces hommes revenus à la raison ne voyoient plus Vénus sortir d’une mer brillante et s’envoler au ciel sur l’aile des Heures, ils admiroient la main de celui qui creusa l’abîme et qui répandit à volonté la terreur ou la beauté sur les flots. Avions-nous besoin des fables d’Alcyon et de Céyx pour trouver des rapports attendrissants entre les oiseaux qui passent sur les mers et nos destinées ? En voyant se suspendre à nos mâts des hirondelles fatiguées, nous étions tentés