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frères, nos époux, trouvent en nous quelque chose de divin ? Une voix mensongère t’aura peut-être raconté que les Gauloises sont capricieuses, légères, infidèles : ne crois pas ces discours. Chez les enfants des druides, les passions sont sérieuses et leurs conséquences terribles. »

« Je pris les mains de cette infortunée entre les deux miennes : je les serrai tendrement.

« Velléda, dis-je, si vous m’aimez, il est un moyen de me le prouver : retournez chez votre père, il a besoin de votre appui. Ne vous abandonnez plus à une douleur qui trouble votre raison et qui me fera mourir. »

« Je descendis de la colline, et Velléda me suivit. Nous nous avançâmes dans la campagne par des chemins peu fréquentés où croissoit le gazon.

« Si tu m’avois aimée, disoit Velléda, avec quelles délices nous aurions parcouru ces champs ! Quel bonheur d’errer avec toi dans ces routes solitaires, comme la brebis dont les flocons de laine sont restés suspendus à ces ronces ! »

« Elle s’interrompit, regarda ses bras amaigris, et dit avec un sourire :

« Et moi aussi j’ai été déchirée par les épines de ce désert, et j’y laisse chaque jour quelque partie de ma dépouille. »

« Revenant à ses rêveries :

« Au bord du ruisseau, dit-elle, au pied de l’arbre, le long de cette haie, de ces sillons où rit la première verdure des blés que je ne verrai pas mûrir, nous aurions admiré le coucher du soleil. Souvent, pendant les tempêtes, cachés dans quelque grange isolée ou parmi les ruines d’une cabane, nous eussions entendu gémir le vent sous le chaume abandonné. Tu croyois peut-être que, dans mes songes de félicité, je désirois des trésors, des palais, des pompes ? Hélas ! mes vœux étoient plus modestes, et ils n’ont point été exaucés ! Je n’ai jamais aperçu au coin d’un bois la hutte roulante d’un berger sans songer qu’elle me suffiroit avec toi. Plus heureux que ces Scythes dont les druides m’ont conté l’histoire, nous promènerions aujourd’hui notre cabane de solitude en solitude, et notre demeure ne tiendroit pas plus à la terre que notre vie. »

« Nous arrivâmes à l’entrée d’un bois de sapins et de mélèzes. La fille de Ségenax s’arrêta, et me dit :

« Mon père habite ce bois, je ne veux pas que tu entres dans sa demeure : il t’accuse de lui avoir ravi sa fille. Tu peux, sans être trop malheureux, me voir au milieu de mes chagrins, parce que je suis