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baies d’églantier ; sa guitare étoit suspendue à son sein par une tresse de lierre et de fougère flétrie ; un voile blanc jeté sur sa tête descendoit jusqu’à ses pieds. Dans ce singulier appareil, pâle, et les yeux fatigués de pleurs, elle étoit encore d’une beauté frappante. On l’apcrcevoit derrière un buisson à demi dépouillé : ainsi le poète représente l’ombre de Didon, se montrant à travers un bois de myrtes, comme la lune nouvelle qui se lève dans un nuage.

« Le mouvement que je fis en reconnoissant la fille de Ségenax attira ses regards. À mon aspect une joie troublée éclate sur son visage. Elle me fait un signe mystérieux, et me dit :

« Je savois bien que je t’attirerois ici ; rien ne résiste à la force de mes accents. »

« Et elle se met à chanter :

« Hercule, tu descendis dans la verte Aquitaine. Pyrène, qui donna son nom aux montagnes de l’Ibérie ; Pyrène, fille du roi Bébrycius, épousa le héros grec, car les Grecs ont toujours ravi le cœur des femmes. »

« Velléda se lève, s’avance vers moi, et me dit :

« Je ne sais quel enchantement m’entraîne sur tes pas ; j’erre autour de ton château, et je suis triste de ne pouvoir y pénétrer. Mais j’ai préparé des charmes ; j’irai chercher le sélago : j’offrirai d’abord une oblation de pain et de vin ; je serai vêtue de blanc ; mes pieds seront nus, ma main droite cachée sous ma tunique arrachera la plante, et ma main gauche la dérobera à ma main droite. Alors rien ne pourra me résister. Je me glisserai chez toi sur les rayons de la lune ; je prendrai la forme d’un ramier, et je volerai sur le haut de la tour que tu habites. Si je savois ce que tu préfères !… je pourrois… Mais non, je veux être aimée pour moi : ce seroit m’être infidèle que de m’aimer sous une forme empruntée. »

« À ces mots, Velléda pousse des cris de désespoir.

« Bientôt, changeant d’idée et cherchant à lire dans mes yeux, comme pour pénétrer mes secrets :

« Oh ! oui, c’est cela, s’écria-t-elle, les Romaines auront épuisé ton cœur ! Tu les auras trop aimées ! Ont-elles donc tant d’avantages sur moi ? Les cygnes sont moins blancs que les filles des Gaules ; nos yeux ont la couleur et l’éclat du ciel ; nos cheveux sont si beaux que les Romaines nous les empruntent pour en ombrager leur tête ; mais le feuillage n’a de grâces que sur la cime de l’arbre où il est né. Vois-tu la chevelure que je porte ? Eh bien ! si j’avois voulu la céder, elle seroit maintenant sur le front de l’impératrice : c’est mon diadème, et je l’ai gardé pour toi ! Ne sais-tu pas que nos pères, nos