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donneront pas de l’amour ; mais, cruel, je m’enivre de mes aveux, j’aime à me nourrir de ma flamme, à t’en faire connoître toute la violence ! Ah ! si tu m’aimois, quelle seroit notre félicité ! Nous trouverions pour nous exprimer un langage digne du ciel : à présent il y a des mots qui me manquent, parce que ton âme ne répond pas à la mienne. »

« Un coup de vent ébranla la forêt, et une plainte sortit des boucliers d’airain. Velléda, effrayée, leva la tête, et regardant les trophées suspendus :

« Ce sont les armes de mon père qui gémissent ; elles m’annoncent quelque malheur. »

« Après un moment de silence elle ajouta :

« Il faut pourtant qu’il y ait quelque raison à ton indifférence. Tant d’amour auroit dû t’en inspirer. Cette froideur est trop extraordinaire. »

« Elle s’interrompit de nouveau. Sortant tout à coup comme d’une réflexion profonde, elle s’écria :

« Voilà la raison que je cherchois ! Tu ne peux me souffrir, parce que je n’ai rien à t’offrir qui soit digne de toi ! »

« Alors s’approcbant de moi comme en délire, et mettant la main sur mon cœur :

« Guerrier, ton cœur reste tranquille sous la main de l’amour, mais peut-être qu’un trône le feroit palpiter. Parle : veux-tu l’empire ? Une Gauloise l’avoit promis à Dioclétien, une Gauloise te le propose ; elle n’étoit que prophétesse, moi je suis prophétesse et amante. Je peux tout pour toi. Tu le sais : nous avons souvent disposé de la pourpre. J’armerai secrètement nos guerriers. Teutatès te sera favorable, et par mon art je forcerai le ciel à seconder tes vœux. Je ferai sortir les druides de leurs forêts. Je marcherai moi-même aux combats, portant à la main une branche de chêne. Et si le sort nous étoit contraire, il est encore des antres dans les Gaules où, nouvelle Éponine, je pourrois cacher mon époux. Ah ! malheureuse Velléda ! tu parles d’époux, et tu ne seras jamais aimée ! »

« La voix de la jeune barbare expire ; la main qu’elle tenoit sur mon cœur retombe ; elle penche sa tête, et son ardeur s’éteint dans des torrents de larmes.

« Cette conversation me remplit d’effroi. Je commençai à craindre que ma résistance ne fût inutile. Mon attendrissement étoit extrême quand Velléda cessa de parler, et je sentis tout le reste du jour la place brûlante de sa main sur mon cœur. Voulant du moins faire un dernier effort pour me sauver, je pris une résolution qui devoit pré-