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l’épaisseur des pierres. Quelques rayons des étoiles, descendant à travers ces ouvertures, faisoient briller les lances et les aigles rangées en ordre le long des murailles. Je n’avois point allumé de flambeau, et je me promenois au milieu des ténèbres.

« Tout à coup, à l’une des extrémités de la galerie, un pâle crépuscule blanchit les ombres. La clarté augmente par degrés et bientôt je vois paroître Velléda. Elle tenoit à la main une de ces lampes romaines qui pendent au bout d’une chaîne d’or. Ses cheveux blonds, relevés à la grecque sur le sommet de sa tête, étoient ornés d’une couronne de verveine, plante sacrée parmi les druides. Elle portoit pour tout vêtement une tunique blanche : fille de roi a moins de beauté, de noblesse et de grandeur.

« Elle suspendit sa lampe aux courroies d’un bouclier, et venant à moi elle me dit :

« Mon père dort ; assieds-toi, écoute. »

« Je détachai du mur un trophée de piques et de javelots que je couchai par terre, et nous nous assîmes sur cette pile d’armes en face de la lampe.

« Sais-tu, me dit alors la jeune barbare, que je suis fée ? »

« Je lui demandai l’explication de ce mot.

« Les fées gauloises, répondit-elle, ont le pouvoir d’exciter les tempêtes, de les conjurer, de se rendre invisibles, de prendre la forme de différents animaux. »

« Je ne reconnois pas ce pouvoir, répondis-je avec gravité. Comment pourriez-vous croire raisonnablement posséder une puissance que vous n’avez jamais exercée ? Ma religion s’offense de ces superstitions. Les orages n’obéissent qu’à Dieu. »

« Je ne te parle pas de ton Dieu, reprit-elle avec impatience. Dis-moi, as-tu entendu la dernière nuit le gémissement d’une fontaine dans les bois, et la plainte de la brise dans l’herbe qui croît sur ta fenêtre ? Eh bien, c’étoit moi qui soupirois dans cette fontaine et dans cette brise ! Je me suis aperçue que tu aimois le murmure des eaux et des vents. »

« J’eus pitié de cette insensée : elle lut ce sentiment sur mon visage.

« Je te fais pitié, me dit-elle. Mais si tu me crois atteinte de folie, ne t’en prends qu’à toi. Pourquoi as-tu sauvé mon père avec tant de bonté ? Pourquoi m’as-tu traitée avec tant de douceur ? Je suis vierge, vierge de l’île de Sayne : que je garde ou que je viole mes vœux, j’en mourrai. Tu en seras la cause. Voilà ce que je voulois te dire. Adieu ! »

« Elle se leva, prit sa lampe, et disparut.

« Jamais, seigneurs, je n’ai éprouvé une douleur pareille. Rien n’est