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Livre Dixième.

Suite du récit. Fin de l’épisode de Velléda.

« Je vous ai dit, seigneurs, que Velléda habitoit le château avec son père. Le chagrin et l’inquiétude plongèrent d’abord Ségenax dans une fièvre ardente, pendant laquelle je lui prodiguai les secours qu’exigeoit l’humanité. J’allois chaque jour visiter le père et la fille dans la tour où je les avois fait transporter. Cette conduite, différente de celle des autres commandants romains, charma les deux infortunés : le vieillard revint à la vie, et la druidesse, qui avoit montré un grand abattement, parut bientôt plus contente. Je la rencontrois se promenant seule, avec un air de joie, dans les cours du château, dans les salles, dans les galeries, les passages secrets, les escaliers tournants qui conduisoient au haut de la forteresse ; elle se multiplioit sous mes pas, et quand je la croyois auprès de son père, elle se montroit tout à coup au fond d’un corridor obscur, comme une apparition.

« Cette femme étoit extraordinaire. Elle avoit, ainsi que toutes les Gauloises, quelque chose de capricieux et d’attirant. Son regard étoit prompt, sa bouche un peu dédaigneuse et son sourire singulièrement doux et spirituel. Ses manières étoient tantôt hautaines, tantôt voluptueuses ; il y avoit dans toute sa personne de l’abandon et de la dignité, de l’innocence et de l’art. J’aurois été étonné de trouver dans une espèce de sauvage une connoissance approfondie des lettres grecques et de l’histoire de son pays, si je n’avois su que Velléda descendoit de la famille de l’archidruide et qu’elle avoit été élevée par un senani, pour être attachée à l’ordre savant des prêtres gaulois. L’orgueil dominoit chez cette barbare, et l’exaltation de ses sentiments alloit souvent jusqu’au désordre.

« Une nuit, je veillois seul dans une salle d’armes où l’on ne découvroit le ciel que par d’étroites et longues ouvertures pratiquées dans