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persa sur les bruyères, et les flambeaux s’éteignirent ; seulement quelques torches agitées par le vent brilloient encore çà et là dans la profondeur des bois, et l’on entendoit le chœur lointain des bardes qui chantoit en se retirant ces paroles lugubres :

« Teutatès veut du sang ; il a parlé dans le chêne des druides. Le gui sacré a été coupé avec une faucille d’or, au sixième jour de la lune, au premier jour du siècle. Teutatès veut du sang ; il a parlé dans le chêne des druides ! »

« Je me hâtai de retourner au château. Je convoquai les tribus gauloises. Lorsqu’elles furent réunies au pied de la forteresse, je leur déclarai que je connoissois leur assemblée séditieuse et les complots qu’on tramoit contre César.

« Les barbares furent glacés d’effroi. Environnés des soldats romains, ils crurent toucher à leur dernier moment. Tout à coup des gémissements se font entendre : une troupe de femmes se précipite dans l’assemblée. Elles étoient chrétiennes, et portoient dans leurs bras leurs enfants nouvellement baptisés. Elles tombent à mes genoux, me demandent grâce pour leurs époux, leurs fils et leurs frères ; elles me présentent leurs nouveau-nés, et me supplient, au nom de cette grinération pacifique, d’être doux et charitable.

« Eh ! comment aurois-je pu résister à leurs prières ? Comment aurois-je pu mettre en oubli la charité de Zacharie ? Je relevai ces femmes !

« Mes sœurs, leur dis-je, je vous accorde la grâce que vous me demandez au nom de Jésus-Christ, notre commun maître. Vous me répondrez de vos époux, et je serai tranquille quand vous m’aurez promis qu’ils resteront fidèles à César. »

« Les Armoricains poussèrent des cris de joie, et ils élevèrent jusqu’aux nues une clémence qui me coûtoit bien peu. Avant de les congédier, j’arrachai d’eux la promesse qu’ils renonceroient à des sacrifices affreux sans doute, puisqu’ils avoient été proscrits par Tibère même et par Claude. J’exigeai toutefois qu’on me livrât la druidesse Velléda et son père Ségenax, le premier magistrat des Rhédons. Dès le soir même on m’amena les deux otages ; je leur donnai le château pour asile. Je fis sortir une flotte qui rencontra celle des Francs, et l’obligea de s’éloigner des côtes de l’Armorique. Tout rentra dans l’ordre. Cette aventure eut pour moi seul des suites dont il me reste à vous entretenir. »

Ici Eudore s’interrompit tout à coup. Il parut embarrassé, baissa les yeux, les reporta malgré lui sur Cymodocée, qui rougit comme si elle eût pénétré la pensée d’Eudore. Cyrille s’aperçut de leur trouble, et, s’adressant aussitôt à l’épouse de Lasthénès :