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phithéâtre de Titus. Partez ! obéissez aux illustres spectateurs qui vous appellent. Allez apprendre aux Romains à mourir, mais d’une tout autre façon qu’en répandant votre sang dans leurs fêtes : assez longtemps ils ont étudié la leçon, faites-la-leur pratiquer. Ce que je vous propose n’est point impossible. Les tribus des Francs qui s’étoient établies en Espagne retournent maintenant dans leur pays ; leur flotte est à la vue de vos côtes ; ils n’attendent qu’un signal pour vous secourir. Mais si le ciel ne couronne pas vos efforts, si la fortune des césars doit l’emporter encore, eh bien, nous irons chercher avec les Francs un coin du monde où l’esclavage soit inconnu ! Que les peuples étrangers nous accordent ou nous refusent une patrie, terre ne peut nous manquer pour y vivre ou pour y mourir. »

« Je ne puis vous peindre, seigneurs, l’effet de ce discours prononcé à la lueur des flambeaux, sur une bruyère, près d’une tombe, dans le sang des taureaux mal égorgés, qui mêloient leurs derniers mugissements aux sifflements de la tempête : ainsi l’on représente ces assemblées des esprits de ténèbres que des magiciennes convoquent la nuit dans les lieux sauvages. Les imaginations échauffées ne laissèrent aucune autorité à la raison. On résolut, sans délibérer, de se réunir aux Francs. Trois fois un guerrier voulut ouvrir un avis contraire, trois fois on le força au silence, et à la troisième fois le héraut d’armes lui coupa un pan de son manteau.

« Ce n’étoit là que le prélude d’une scène épouvantable. La foule demande à grands cris le sacrifice d’une victime humaine, afin de mieux connoître la volonté du ciel. Les druides réservoient autrefois pour ces sacrifices quelque malfaiteur déjà condamné par les lois. La druidesse fut obligée de déclarer que, puisqu’il n’y avoit point de victime désignée, la religion demandoit un vieillard, comme l’holocauste le plus agréable à Teutatès.

« Aussitôt on apporte un bassin de fer sur lequel Velléda devoit égorger le vieillard. On place le bassin à terre devant elle. Elle n’étoit point descendue de la tribune funèbre d’où elle avoit harangué le peuple, mais elle s’étoit assise sur un triangle de bronze, le vêtement en désordre, la tête échevelée, tenant un poignard à la main, et une torche flamboyante sous ses pieds. Je ne sais comment auroit fini cette scène : j’aurois peut-être succombé sous le fer des barbares en essayant d’interrompre le sacrifice ; le ciel, dans sa bonté ou dans sa colère, mit fin à mes perplexités. Les astres penchoient vers leur couchant. Les Gaulois craignirent d’être surpris par la lumière. Ils résolurent d’attendre, pour offrir l’hostie abominable, que Dis, père des ombres, eût ramené une autre nuit dans les cieux. La foule se dis-