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dis que les sénanis et les eubages élèvent des flambeaux : les cœurs étoient secrètement attendris par cette scène, qui leur rappeloit l’ancienne liberté. Quelques guerriers en cheveux blancs laissoient tomber de grosses larmes qui rouloient sur leurs boucliers. Tous penchés en avant et appuyés sur leurs lances, ils sembloient déjà prêter l’oreille aux paroles de la druidesse.

« Elle promena quelque temps ses regards sur ces guerriers représentants d’un peuple qui le premier osa dire aux hommes : « Malheur aux vaincus ! » mot impie retombé maintenant sur sa tête ! On lisoit sur le visage de la druidesse l’émotion que lui causoit cet exemple des vicissitudes de la fortune. Elle sortit bientôt de ses réflexions, et prononça ce discours :

« Fidèles enfants de Tentâtes, vous qui au milieu de l’esclavage de votre patrie avez conservé la religion et les lois de vos pères, je ne puis vous contempler ici sans verser des larmes ! Est-ce là le reste de cette nation qui donnoit des lois au monde ? Où sont ces États florissants de la Gaule, ce conseil des femmes auquel se soumit le grand Annibal ? Où sont ces druides qui élevoient dans leurs collèges sacrés une nombreuse jeunesse ? Proscrits par les tyrans, à peine quelques-uns d’entre eux vivent inconnus dans des antres sauvages. Velléda, une foible druidesse, voilà donc tout ce qui vous reste aujourd’hui pour accomplir vos sacrifices ! Ô île de Sayne, île vénérable et sacrée ! je suis demeurée seule des neuf vierges qui desservoient votre sanctuaire ! Bientôt Teutatès n’aura plus ni prêtres ni autels. Mais pourquoi perdrions-nous l’espérance ? J’ai à vous annoncer les secours d’un allié puissant : auriez-vous besoin qu’on vous retraçât le tableau de vos souffrances pour vous faire courir aux armes ? Esclaves en naissant, à peine avez-vous passé le premier âge, que des Romains vous enlèvent. Que devenez-vous ? Je l’ignore. Parvenus à l’âge d’homme, vous allez mourir sur la frontière pour la défense de vos tyrans, ou creuser le sillon qui les nourrit. Condamnés aux plus rudes travaux, vous abattez vos forêts, vous tracez avec des fatigues inouïes les routes qui introduisent l’esclavage jusque dans le cœur de votre pays : la servitude, l’oppression et la mort accourent sur ces chemins en poussant des cris d’allégresse, aussitôt que le passage est ouvert. Enfin, si vous survivez à tant d’outrages, vous serez conduits à Rome : là, renfermés dans un amphithéâtre, on vous forcera de vous entre-tuer, pour amuser par votre agonie une populace féroce. Gaulois, il est une manière plus digne de vous de visiter Rome ! Souvenez-vous que votre nom veut dire voyageur. Apparoissez tout à coup au Capitole, comme ces terribles voyageurs vos aïeux et vos devanciers. On vous demande à l’am-