Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, il attribuera peut-être à des puissances invisibles et funestes ce qui ne sera que le témoignage de la force et de la rudesse de ses aïeux.

« La nuit étoit descendue. La jeune fille s’arrêta non loin de la pierre, frappa trois fois des mains, en prononçant à haute voix ce mot mystérieux :

« Au gui l’an neuf ! »

« À l’instant je vis briller dans la profondeur du bois mille lumières ; chaque chêne enfanta pour ainsi dire un Gaulois ; les barbares sortirent en foule de leur retraite : les uns étoient complètement armés ; les autres portoient une branche de chêne dans la main droite et un flambeau dans la gauche. À la faveur de mon déguisement, je me mêle à leur troupe : au premier désordre de l’assemblée succèdent bientôt l’ordre et le recueillement, et l’on commence une procession solennelle.

« Des eubages marchoient à la tête, conduisant deux taureaux blancs qui dévoient servir de victimes ; les bardes suivoient en chantant sur une espèce de guitare les louanges de Teutatès ; après eux venoient les disciples ; ils étoient accompagnés d’un héraut d’armes vêtu de blanc, couvert d’un chapeau surmonté de deux ailes et tenant à sa main une branche de verveine entourée de deux serpents. Trois sénanis[1], représentant trois druides, s’avançoient à la suite du héraut d’armes : l’un portoit un pain, l’autre un vase plein d’eau, le troisième une main d’ivoire. Enfin, la druidesse (je reconnus alors sa profession) venoit la dernière. Elle tenoit la place de l’archidruide, dont elle étoit descendue.

« On s’avança vers le chêne de trente ans, où l’on avoit découvert le gui sacré. On dressa au pied de l’arbre un autel de gazon. Les sénanis y brûlèrent un peu de pain et y répandirent quelques gouttes d’un vin pur. Ensuite un eubage vêtu de blanc monta sur le chêne, et coupa le gui avec la faucille d’or de la druidesse ; une saie blanche étendue sous l’arbre reçut la plante bénite ; les autres cubages frappèrent les victimes, et le gui, divisé en égales parties, fut distribué à l’assemblée.

« Cette cérémonie achevée, on retourna à la pierre du tombeau ; on planta une épée nue pour indiquer le centre du mallus ou du conseil ; au pied du dolmen étoient appuyées deux autres pierres, qui en soutenoient une troisième couchée horizontalement. La druidesse monte à cette tribune. Les Gaulois debout et armés l’environnent, tan-

  1. Philosophes gaulois qui succédèrent aux druides.