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« J’avois un désir extrême d’apprendre de la bouche de Constance les changements survenus à la cour de Dioclétien depuis ma captivité. Il me fit bientôt appeler dans les jardins du palais, qui descendent en amphithéâtre sur la colline Lucotitius, jusqu’à la prairie où s’élève le temple d’Isis, au bord de la Sequana.

« Eudore, me dit-il, nous allons combattre Carrausius et délivrer la Bretagne[a] de ce tyran, usurpateur de la pourpre impériale. Mais avant de partir pour cette province il est bon que vous connoissiez l’état des affaires à Rome, afin de régler votre conduite sur ce que je vais vous apprendre. Vous vous souvenez peut-être que lorsque vous vîntes me trouver dans les Gaules, Dioclétien alloit pacifier l’Égypte et Galérius combattre les Perses. Ce dernier a obtenu la victoire : depuis ce moment son orgueil et son ambition n’ont plus connu de bornes. Il a épousé Valérie, fille de Dioclétien, et il manifeste ouvertement le désir de parvenir à l’empire en forçant son beau-père à abdiquer. Dioclétien, qui commence à vieillir, et dont l’esprit est affoibli par une maladie, ne peut presque plus résister à un ingrat. Les créatures de Galérius triomphent. Hiéroclès, votive ennemi, jouit d’une haute faveur ; il a été nommé proconsul du Péloponèse, votre patrie. Mon fils est exposé à mille dangers. Galérius a cherché à le faire périr, en l’obligeant une fois à combattre un lion, une autre fois en le chargeant d’une entreprise dangereuse contre les Sarmates. Enfin, Galérius favorise Maxence, fils de Maximien, quoique au fond il ne l’aime pas, mais seulement parce qu’il voit en lui un rival de Constantin. Ainsi, Eudore, tout annonce que nous touchons à une révolution. Mais tandis qu’il me reste un souffle de vie, je ne crains point la jalousie de Galérius. Que mon fils échappe à ses gardes, qu’il vienne retrouver son père, on apprendra, si l’on ose m’attaquer, que l’amour des peuples est pour les princes un rempart inexpugnable. »

« Quelques jours après cet entretien, nous partîmes pour l’île des Bretons, que l’Océan sépare du reste du monde. Les Pictes avoient attaqué la muraille d’Agricola, immortalisée par Tacite. D’une autre part, Carrausius, afin de résister à Constance, avoit soulevé le reste des anciennes factions de Caractacus et de la reine Boudicée. Ainsi nous fûmes plongés à la fois dans les troubles des discordes civiles et dans les horreurs d’une guerre étrangère. Un peu de courage naturel au sang dont je sors et une suite d’actions heureuses me conduisirent de grade en grade jusqu’au grade de premier tribun de la légion bri-

  1. L’Angleterre.