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du fleuve, s’élevoit un second temple, dédié à Isis ; et vers le nord, sur une colline, on voyoit les ruines d’un troisième temple, jadis bâti en l’honneur de Teutatès. Cette colline étoit le mont de Mars, où Denis avoit reçu la palme du martyre.

« En approchant de la Sequana, j’aperçus, à travers un rideau de saules et de noyers, ses eaux claires, transparentes, d’un goût excellent, et qui rarement croissent ou diminuent. Des jardins plantés de quelques figuiers qu’on avoit entourés de paille pour les préserver de la gelée étoient le seul ornement de ses rives. J’eus quelque peine à découvrir le village que je cherchois, et qui porte le nom de Lutèce, c’est-à-dire la belle pierre ou la belle colonne. Un berger me le montra enfin au milieu de la Sequana, dans une île qui s’allonge en forme de vaisseau. Deux ponts de bois, défendus par deux châteaux, où l’on paye le tribut à César, joignent ce misérable hameau aux deux rives opposées du fleuve.

« J’entrai dans la capitale des Parisii par le pont du septentrion, et je ne vis dans l’intérieur du village que des huttes de bois et de terre, recouvertes de paille et échauffées par des fourneaux. Je n’y remarquai qu’un seul monument : c’étoit un autel élevé à Jupiter par la compagnie des nautes. Mais hors de l’île, de l’autre côté du bras méridional de la Sequana, on voyoit, sur la colline Lucotitius, un aqueduc romain, un cirque, un amphithéâtre et le palais des Thermes habité par Constance.

« Aussitôt que César eut appris que j’étois à la porte de son palais, il s’écria :

« Qu’on laisse entrer l’ami de mon fils ! »

« Je me jetai aux pieds du prince ; il me releva avec douceur, m’honora de ses éloges devant sa cour, et me prenant par la main, me fit passer avec lui dans la salle du conseil. Je lui racontai ce qui m’étoit arrivé chez les Francs. Constance parut charmé que ces peuples consentissent enfin à poser les armes, et il fit partir à l’heure même un centurion pour traiter de la paix avec eux. Je remarquai avec douleur que la pâleur et la foiblesse de Constance étoient augmentées.

« Je trouvai réunis dans le palais de ce prince les fidèles les plus illustres de la Gaule et de l’Italie. Là brilloient Donatien et Rogatien aimables frères ; Gervais et Protais, l’Oreste et le Pylade des chrétiens ; Procula de Marseille ; Just de Lugdunum ; enfin, le fils du préfet des Gaules, Ambroise, modèle de science, de fermeté et de candeur. Ainsi que Xénophon, on racontoit qu’il avoit été nourri par des abeilles : l’Église attendoit en lui un orateur et un grand homme.