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choisir entre des avis également sages, suivons-les tous pour obtenir un succès éclatant. Appelons encore à notre aide l’idolâtrie et l’orgueil. Moi-même je réveillerai la superstition dans le cœur de Dioclétien et l’ambition dans l’âme de Galérius. Vous tous, dieux des nations, secondez mes efforts : allez, volez, excitez le zèle du peuple et des prêtres. Remontez sur l’Olympe, faites revivre les fables des poëtes. Que les bois de Dodone et de Daphné rendent de nouveaux oracles ; que le monde soit partagé entre des fanatiques et des athées ; que les doux poisons de la volupté allument des passions féroces ; et de tous ces maux réunis faisons naître contre les chrétiens une épouvantable persécution. »

Ainsi parle Lucifer : trois fois il frappe son trône de son sceptre ; trois fois le creux de l’abîme renvoie un long mugissement. Le chaos, unique et sombre voisin de l’enfer, ressent le contre-coup, s’entr’ouvre et laisse passer au travers de son sein un foible rayon de lumière qui descend jusque dans la nuit des réprouvés. Jamais Satan n’avoit paru plus formidable depuis le jour où, renonçant à l’obéissance, il se déclara l’ennemi de l’Éternel. Aussitôt les légions s’élèvent, sortent du conseil, traversent la mer de larmes, la région des supplices, et volent vers la porte gardée par le crime et la mort. On voit passer la troupe immonde à la lueur des fournaises ardentes, comme, dans une grotte souterraine, voltigent à la lumière d’un flambeau ces oiseaux douteux dont un insecte impur semble avoir tissu les ailes.

Sous le vestibule du palais des enfers, devant le lit de fer où repose l’éternité des douleurs, est suspendue une lampe : là brûle la flamme primitive de la colère céleste qui alluma les brasiers éternels. Satan prend une étincelle de ce feu. Il part : du premier bond il touche à la ceinture étoilée ; du second pas il arrive au séjour des hommes. Il porte l’étincelle fatale dans tous les temples, rallume les feux éteints sur les autels des idoles : aussitôt Pallas remue sa lance, Bacchus agite son thyrse, Apollon tend son arc, l’Amour secoue son flambeau, les vieux pénates d’Énée prononcent des paroles mystérieuses, et les dieux d’Ilion prophétisent au Capitole. Le père du mensonge place un esprit d’illusion à chaque simulacre des divinités païennes ; et, réglant les mouvements de ses invisibles cohortes, il fait agir de concert contre l’Église de Jésus-Christ l’armée entière des démons.


fin du livre huitième.