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étoit demi-couché, fait un effort et relève la tête. Le plus beau des anges tombés après l’archange rebelle, il a conservé une partie des grâces dont l’avoit orné le Créateur ; mais au fond de ses regards si doux, à travers le charme de sa voix et de son sourire, on découvre je ne sais quoi de perfide et d’empoisonné. Né pour l’amour, éternel habitant du séjour de la haine, il supporte impatiemment son malheur ; trop délicat pour pousser des cris de rage, il pleure seulement, et prononce ces paroles avec de profonds soupirs :

« Dieux de l’Olympe, et vous que je connois moins, divinités du brahmane et du druide, je n’essayerai point de le cacher : oui, l’enfer me pèse ! Vous ne l’ignorez pas : je ne nourrissois contre l’Éternel aucun sujet de haine, et j’ai seulement suivi, dans sa rébellion et dans sa chute, un ange que j’aimois. Mais, puisque je suis tombé du ciel avec vous, je veux du moins vivre longtemps au milieu des mortels, et je ne me laisserai point bannir de la terre. Tyr, Héliopolis, Paphos, Amathonte, m’appellent. Mon étoile brille encore sur le mont Liban : là, j’ai des temples enchantés, des fêtes gracieuses, des cygnes qui m’entraînent au milieu des airs, des fleurs, de l’encens, des parfums, de frais gazons, des danses voluptueuses et de riants sacrifices ! Et les chrétiens m’arracheroient ce léger dédommagement des joies célestes ! le myrte de mes bosquets, qui donne à l’enfer tant de victimes, seroit transformé en croix sauvage, qui multiplie les habitants du ciel ! Non, je ferai connoître aujourd’hui ma puissance. Pour vaincre les disciples d’une loi sévère, il ne faut ni violence ni sagesse : j’armerai contre eux les tendres passions ; cette ceinture vous répond de la victoire. Bientôt mes caresses auront amolli ces durs serviteurs d’un Dieu chaste. Je dompterai les vierges rigides, et j’irai troubler jusque dans leur désert ces anachorètes qui pensent échapper à mes enchantements. L’ange de la sagesse s’applaudit d’avoir enlevé Hiéroclès à notre ennemi, mais Hiéroclès est aussi fidèle à mon culte : déjà j’ai allumé dans son sein une flamme criminelle ; je saurai maintenir mon ouvrage, faire naître des rivalités, bouleverser le monde en me jouant, et, par les délices, amener les hommes à partager vos douleurs. »

En achevant ces mots, Astarté se laisse tomber sur sa couche. Il veut sourire, mais le serpent qu’il porte caché sous sa ceinture le frappe secrètement au cœur : le foible démon pâlit, et les chefs expérimentés des bandes infernales devinèrent sa blessure.

Cependant les trois avis partageoient l’horrible sanhédrin. Satan impose silence à l’assemblée :

« Compagnons, vos conseils sont dignes de vous ; mais au lieu