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perversité, et il s’en fait un titre de gloire. Cette fausse sagesse, née après les temps, parla de cette sorte à l’assemblée des démons :

« Monarques de l’enfer, vous le savez, j’ai toujours été opposé à la violence. Nous n’obtiendrons la victoire que par le raisonnement, la douceur et la persuasion. Laissez-moi répandre parmi nos adorateurs et chez les chrétiens eux-mêmes ces principes qui dissolvent les liens de la société et minent les fondements des empires. Déjà Hiéroclès, ministre chéri de Galérius, s’est jeté dans mes bras. Les sectes se multiplient. Je livrerai les hommes à leur propre raison ; je leur enverrai mon fils, l’athéisme, amant de la mort et ennemi de l’espérance. Ils en viendront jusqu’à nier l’existence de celui qui les créa. Vous n’aurez point à livrer de combats, dont l’issue est toujours incertaine : je saurai forcer l’Éternel à détruire une seconde fois son ouvrage. »

À ce discours de l’esprit le plus profondément corrompu de l’abîme, les démons applaudirent en tumulte. Le bruit de cette lamentable joie se prolongea sous les voûtes infernales. Les réprouvés crurent que leurs persécuteurs venoient d’inventer de nouveaux tourments. Aussitôt ces âmes, qui n’étoient plus gardées dans leurs bûchers, s’échappèrent des flammes et accoururent au conseil : elles traînoient avec elles quelque partie de leurs supplices : l’une son suaire embrasé, l’autre sa chape de plomb, celle-ci les glaçons qui pendoient à ses yeux remplis de larmes, celle-là les serpents dont elle étoit dévorée. Les affreux spectateurs d’un affreux sénat prennent leurs rangs dans les tribunes brûlantes. Satan lui-même effrayé appelle les spectres gardiens des ombres, les vaines chimères, les songes funestes, les harpies aux sales griffes, l’épouvante au visage étonné, la vengeance à l’œil hagard, les remords qui ne dorment jamais, l’inconcevable folie, les pâles douleurs et le trépas.

« Remettez, s’écrie-t-il, ces coupables dans les fers, ou craignez que Satan ne vous enchaîne avec eux. »

Inutiles menaces ! Les fantômes se mêlent aux réprouvés et veulent, à leur exemple, assister au conseil de leurs rois. On auroit vu peutlêtre un combat horrible, si Dieu, qui maintient sa justice, et qui seul est auteur de l’ordre, même aux enfers, n’eût fait cesser le tumulte. Il étendit son bras, et l’ombre de sa main se dessina sur le mur de la salle maudite. Aussitôt une terreur profonde s’empare des âmes perdues et des esprits rebelles : les premières retournent à leurs tourments ; les seconds, après que la main divine s’est retirée, recommencent à délibérer.

Le démon de la volupté, essayant de sourire sur le siège où il