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qui baigne les rivages du Nouveau Monde, on voit un monstre marin poursuivre sa proie au milieu des flots : si la proie brillante déploie tout à coup des ailes argentées, et trouve, oiseau d’un moment, sa sûreté dans les airs, le monstre trompé bondit sur les vagues, et, vomissant des tourbillons d’écume et de fumée, il effraye les matelots de sa rage impuissante.

« Qu’est-il besoin de délibérer ? s’écrie l’ange atroce. Faut-il pour détruire les peuples du Christ d’autres moyens que des bourreaux et des flammes ? Dieux des nations, laissez-moi le soin de rétablir vos temples. Le prince qui va bientôt régner sur l’empire romain est dévoué à ma puissance. J’exciterai la cruauté de Galérius. Qu’un immense et dernier massacre fasse nager les autels de notre ennemi dans le sang de ses adorateurs. Satan aura commencé la victoire en perdant le premier homme, moi je l’aurai couronnée en exterminant les chrétiens. »

Il dit, et tout à coup les angoisses de l’enfer se font sentir à cet esprit féroce ; il pousse un cri comme un coupable frappé du glaive des bourreaux, comme un assassin percé de la pointe des remords. Une sueur ardente paroît sur son front ; quelque chose de semblable à du sang distille de sa bouche : il se débat en vain sous le poids de la réprobation.

Alors le démon de la fausse sagesse se lève avec une gravité qui ressemble à une triste folie. La feinte sévérité de sa voix, le calme apparent de ses esprits, trompent la multitude éblouie : tel qu’une belle fleur portée sur une tige empoisonnée, il séduit les hommes et leur donne la mort. Il affecte la forme d’un vieillard, chef d’une de ces écoles répandues dans Athènes et dans Alexandrie. Des cheveux blancs couronnés d’une branche d’olivier, un front à moitié chauve, préviennent d’abord en sa faveur ; mais quand on le considère de plus près, on découvre en lui un abîme de bassesse et d’hypocrisie, et une haine monstrueuse de la véritable raison. Son crime commença dans le ciel avec la création des mondes, aussitôt que ces mondes eurent été livrés à ses vaines disputes. Il blâma les ouvrages du Tout-Puissant, il vouloit, dans son orgueil, établir un autre ordre parmi les anges et dans l’empire de la souveraine sagesse : c’est lui qui fut le père de l’athéisme, exécrable fantôme que Satan même n’avoit point enfanté, et qui devint amoureux de la Mort, lorsqu’elle parut aux enfers. Mais quoique le démon des doctrines funestes s’applaudisse de ses lumières, il sait pourtant combien elles sont pernicieuses aux mortels, et il triomphe des maux qu’elles font à la terre. Plus coupable que tous les anges rebelles, il connoît sa propre