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de Teutatès, les souterrains d’Isis, de Mitra, de Wishnou. Partout les sacrifices étoient suspendus, les oracles abandonnés, et les prestiges de l’idolâtrie près de s’évanouir devant la vérité du Christ. Satan gémit de la perte de sa puissance ; mais du moins il ne cédera pas la victoire sans combat. Il jure, par l’éternité de l’enfer, d’anéantir les adorateurs du vrai Dieu, oubliant que les portes du lieu de douleur ne prévaudront pas contre la bien-aimée du Fils de l’Homme. L’archange rebelle ignore les desseins de l’Éternel, qui va punir son Église coupable ; mais il sent que la domination sur les fidèles lui est un moment accordée, et que le ciel le laisse libre d’accomplir ces noirs projets. Aussitôt il quitte la terre, et descend vers le sombre empire.

Tel qu’on voit au sommet du Vésuve une roche calcinée suspendue au milieu des cendres ; si le soufre et le bitume rallumés dans la montagne obscurcissent le soleil, font bouillonner la mer et chanceler Parthénope comme une bacchante enivrée, alors la cime du volcan change sa forme mobile, la lave s’affaisse, la pierre roule et rentre en grondant au fond des entrailles brûlantes qui l’avoient rejetée : ainsi Satan, vomi par l’enfer, se replonge dans le gouffre béant. Plus rapide que la pensée, il franchit tout l’espace qui doit s’anéantir un jour ; par delà les restes mugissants du chaos, il arrive à la frontière de ces régions impérissables comme la vengeance qui les forma ; régions maudites, tombe et berceau de la mort, où le temps ne fait point la règle, et qui resteront encore quand l’univers aura été enlevé ainsi qu’une tente dressée pour un jour. Une larme involontaire mouille les yeux de l’esprit pervers, au moment où il s’enfonce dans les royaumes de la nuit. Sa lance de feu éclaire à peine autour de lui l’épaisseur des ombres. Il ne suit aucune route à travers les ténèbres ; mais, entraîné par le poids de ses crimes, il descend naturellement vers l’enfer. Il ne voit pas encore la lueur lointaine de ces flammes qui brûlent sans aliments, et pourtant sans jamais s’éteindre, et déjà les gémissements des réprouvés parviennent à son oreille. Il s’arrête, il frémit à ce premier soupir des éternelles douleurs. L’enfer étonne encore son monarque. Un mouvement de remords et de pitié saisit le cœur de l’archange rebelle.

« C’est donc moi, s’écrie-t-il, qui ai creusé ces prisons et rassemblé tous ces maux ! Sans moi le mal eût été inconnu dans les œuvres du Tout-Puissant. Que m’avoit fait l’homme, cette belle et noble créature ?… »

Satan alloit prolonger les plaintes d’un repentir inutile, quand la bouche embrasée de l’abîme venant à s’ouvrir le rappela tout à coup à d’autres pensées.