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vierge innocente lorsqu’il racontoit les coupables plaisirs de Rome et de Baïes ! Quelle pâleur mortelle couvroit ses joues lorsqu’il décrivoit des combats, ou qu’il parloit de blessures et d’esclavage !

La prêtresse des Muses éprouvoit de son côté des sentiments confus et une émotion nouvelle. Son esprit et son cœur sortoient en même temps de leur double enfance. L’ignorance de son esprit s’évanouissoit devant la raison du christianisme ; l’ignorance de son cœur cédoit à cette lumière qu’apportent toujours les passions. Chose extraordinaire, cette jeune fille ressentoit à la fois le trouble et les délices de la sagesse et de l’amour !

« Mon père, disoit-elle à Démodocus, quel divin étranger nous a conviés à ses banquets ! Combien le fils de Lasthénès est grand par le cœur et par les armes ! N’est-ce point un de ces premiers habitants du monde que Jupiter a transformés en dieux favorables aux mortels ? Jouet des cruelles destinées, que de combats il a livrés ! que de maux il a soufferts ! Ô Muses chastes et puissantes ! ô mes divinités tutélaires ! où étiez-vous lorsque d’indignes chaînes pressoient de si nobles mains ? Ne pouviez-vous faire tomber les liens de ce jeune héros au son de vos lyres ? Mais, prêtre d’Homère, toi qui sais toutes choses et qui as la sage retenue des vieillards, dis : quelle est cette religion dont parle Eudore ? Elle est belle, cette religion ! elle approche le cœur de la justice, elle apaise les folles amours. Celui qui la suit est toujours prêt à secourir le malheur, comme un voisin généreux, sans se donner le temps de prendre sa ceinture. Allons dans les temples immoler des brebis à Cérès,qui porte des lois, au Soleil, qui voit l’avenir. La robe tramante, la coupe des libations à la main, faisons le tour des autels arrosés de sang, pétrissons les gâteaux sacrés, et tâchons de découvrir quel est le génie inconnu qui protège Eudore… Je sens qu’une divinité mystérieuse parle à mon cœur… Mais une vierge doit-elle pénétrer les secrets des jeunes hommes et chercher à connoître leurs dieux ? La pudeur lèvera-t-elle son voile pour interroger les oracles ? »

En achevant ces mots, Cymodocée remplit son sein de larmes, qui couloient de ses yeux.

Ainsi le ciel rapprochoil deux cœurs dont l’union devoit amener le triomphe de la croix. Satan alloit profiter de l’amour du couple prédestiné pour faire naître de violents orages, et tout marchoit à l’accomplissement des décrets de l’Éternel. Le prince des ténèbres achevoit dans ce moment même la revue des temples de la terre. Il avoit visité les sanctuaires du mensonge et de l’imposture, l’antre de Trophonius, les soupiraux de la sibylle, les trépieds de Delphes, la pierre