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lire et à écrire cet art de la servitude : nous ne voulons que du fer, des combats, du sang. »

« Des cris tumultueux s’élevèrent dans le conseil des barbares. Le Gaulois, se vengeant de l’insulte par le mépris :

« Puisque le fameux Chlodéric ne connoît pas Alexandre et n’aime pas les longs discours, je ne lui dirai qu’un mot : Si les Francs n’ont pas d’autres guerriers que lui pour porter la flamme au Capitole, je leur conseille d’accepter la paix à quelque prix que ce puisse être. »

« Traître, s’écria le Sicambre écumant de rage, avant que peu d’années se soient écoulées, j’espère que ta nation changera de maître. Tu reconnoîtras, en cultivant la terre pour les Francs, quelle est la valeur des rois chevelus.

« Si je n’ai que la tienne à craindre, repartit ironiquement le Gaulois, je ne me donnerai pas la peine de recueillir l’œuf du serpent à la lune nouvelle, afin de me mettre à l’abri des malheurs que me prépare Teutatès. »

« À ces mots, Chlodéric, furieux, tendit à Camulogène la pointe de sa framée en lui disant d’une voix étouffée par la colère :

« Tu n’oserois seulement y porter la vue. »

« Tu mens, » repartit le Gaulois tirant son épée et se précipitant sur le Franc.

« On se jeta entre les deux guerriers. Les prêtres firent cesser ce nouveau festin des Centaures et de Lapithes. Le lendemain, jour où la lune avoit acquis toute sa splendeur, on décida dans le calme ce qu’on avoit discuté dans l’ivresse, alors que le cœur ne peut feindre et qu’il est ouvert aux entreprises généreuses.

« On se détermina à faire des propositions de paix aux Romains ; et comme Mérovée, fidèle à sa parole, avoit déjà obtenu ma liberté de son père, il fut résolu que j’irois à l’instant porter les paroles du conseil à Constance. Zacharie et Clothilde vinrent m’annoncer ma délivrance. Ils me conjurèrent de me mettre en route sur-le-champ pour éviter l’inconstance naturelle aux barbares. Je fus obligé de céder à leurs inquiétudes. Zacharie m’accompagna jusqu’à la frontière des Gaules. Le bonheur de recouvrer ma liberté étoit balancé par le chagrin de me séparer de ce vieillard. En vain je le pressai de me suivre, en vain je m’attendris sur les maux dont il étoit accablé. Il cueillit en marchant une plante de lis sauvage dont la cime commençoit à percer la neige, et il me dit :

« Cette fleur est le symbole du chef des Saliens et de sa tribu ; elle croît naturellement plus belle parmi ces bois que dans un sol moins exposé aux glaces de l’hiver ; elle efface la blancheur des frimas qui