Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une tribu des Francs, cela ne doit pas nous surprendre : il attend quelques récompenses de ses anciens maîtres. J’avoue que le cep de vigne d’un centurion est plus facile à manier que ma framée, et qu’il est moins périlleux d’adorer César sur la pourpre au Capitole que de le mépriser dans cette hutte sur une peau de loup. Je les ai vus dans Rome même, ces avides possesseurs de tant de palais qui sont assez à plaindre pour désirer encore une cabane dans nos forêts : croyez-moi, ils ne sont pas si redoutables que la frayeur d’un Gaulois vous les représente. Conquis par cette nation de femmes, les Gaulois peuvent demander la paix s’ils le veulent ; pour Chlodéric, il sent en lui quelque chose qui le porte à brûler le Capitole et à effacer le nom romain de la terre. »

« L’assemblée applaudit à ce discours en agitant les lances et en frappant sur les boucliers.

« Allez, allez donc à Rome, repartit le Gaulois avec impétuosité. Que faites-vous ici cachés dans vos forêts ? Quoi ! braves, vous parlez de passer le Tibre, et vous n’avez pu encore franchir le Rhin ! Les serfs gaulois, conquis par une nation de femmes, n’étoient pas assis tranquillement à un repas lorsqu’ils ravageoient cette ville que vous menacez de loin. Ignorez-vous que l’épée de fer d’un Gaulois a seule servi de contre-poids à l’empire du monde ? Partout où il s’est remué quelque chose de grand, vous trouverez mes ancêtres. Les Gaulois seuls ne furent point étonnés à la vue d’Alexandre, César les combattit dix ans pour les soumettre, et Vercingétorix auroit soumis César si les Gaulois n’eussent été divisés. Les lieux les plus célèbres dans l’univers ont été assujettis à mes pères. Ils ont ravagé la Grèce, occupé Byzance, campé sur les ruines de Troie, possédé le royaume de Mithridate et vaincu au delà du Taurus ces Scythes qui n’avoient été vaincus par personne. Le destin de la terre paroît attaché à mes ancêtres comme à une nation fatale et marquée d’un sceau mystérieux. Tous les peuples semblent avoir ouï successivement cette voix qui annonça l’arrivée de Brennus à Rome, et qui disoit à Céditius, au milieu de la nuit : « Céditius, va dire aux tribuns que les Gaulois seront demain ici. »

« Camulogène alloit continuer lorsque Chlodéric, l’interrompant par de bruyants éclats de rire, frappant du pommeau de son épée la table du festin et renversant son vase à boire, s’écria :

« Rois chevelus, avez-vous compris quelque chose aux longs propos de cette prophétesse des Gaulois ? Qui de vous a entendu parler de cet Alexandre, de ce Mithridate ? Camulogène, si tu sais faire de grands discours dans la langue de tes maîtres, épargne-toi la peine de les prononcer devant nous. Nous défendons à nos enfants d’apprendre à