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goûtant, assis à un grand repas, les charmes de cette hospitalité naïve, et il nous apprit le sujet de ces fêtes.

« Au milieu de la mer des Suèves se voit une île appelée Chaste, consacrée à la déesse Hertha. La statue de cette divinité est placée sur un char toujours couvert d’un voile. Ce char, traîné par des génisses blanches, se promène à des temps marqués au milieu des nations germaniques. Les inimitiés sont alors suspendues, et pour un moment les forêts du Nord cessent de retentir du bruit des armes. La déesse mystérieuse venoit de passer chez les barbares, et nous étions arrivés au milieu des réjouissances que cause son apparition. Zacharie eut à peine un moment pour me serrer dans ses bras. Tous les chefs étoient convoqués au banquet solennel : on devoit y traiter de la conclusion de la paix ou de la continuation de la guerre avec les Romains. Je fus chargé du rôle d’échanson, et Mérovée prit sa place au milieu des guerriers.

« Ils étoient rangés en demi-cercle, ayant au centre le foyer où s’apprêtoient les viandes du festin. Chaque chef, armé comme pour la guerre, étoit assis sur un faisceau d’herbes ou sur un rouleau de peaux ; il avoit devant lui une petite table séparée des autres, sur laquelle on lui servoit une portion de la victime, selon sa vaillance ou sa noblesse. Le guerrier reconnu pour le plus brave (et c’étoit Mérovée) occupoit la première place. Des affranchis, armés de lances et de boucliers, portoient çà et là des trépieds chargés de viande et des cornes d’uroch pleines de liqueur de froment.

« Vers la fin du repas, on commença à délibérer. Il y avoit dans la ligne des Francs un Gaulois appelé Camulogène, descendant du fameux vieillard qui défendit Lutèce contre Labiénus, lieutenant de Jules. Élevé parmi les quarante mille disciples des écoles d’Augustodunum[a], il avoit perfectionné une éducation brillante sous les rhéteurs les plus célèbres de Marseille et de Burdigalie[b] ; mais l’inconstance naturelle aux Gaulois et un caractère sauvage l’avoient jeté d’abord dans la révolte des Bagaudes. Ces paysans soulevés furent domptés par Maximien, et Camulogène passa chez les Francs, qui l’adoptèrent à cause de sa valeur et de ses richesses. Les prêtres du banquet de Pharamond ayant fait faire silence, le Gaulois se leva, et, peut-être lassé secrètement d’un long exil, il proposa d’envoyer des députés à César. Il vanta la discipline des légions romaines, les vertus de Constance, les charmes de la paix et la douceur de la société.

« Qu’un Gaulois nous parle de la sorte, répondit Chlodéric, chef

  1. Autun.
  2. Bordeaux.