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un laurier. J’arrachai les herbes qui couvroient quelques lettres latines, et bientôt je parvins à lire ce premier vers des élégies d’un poète infortuné :

« Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à Rome sans moi. »

« Je ne saurois vous peindre ce que j’éprouvai en retrouvant au fond de ce désert le tombeau d’Ovide. Quelles tristes réflexions ne fis-je point sur les peines de l’exil, qui étoient aussi les miennes, et sur l’inutilité des talents pour le bonheur ! Rome, qui jouit aujourd’hui des tableaux du plus ingénieux de ses poètes, Rome a vu couler vingt ans d’un œil sec les larmes d’Ovide. Ah ! moins ingrats que les peuples de l’Ausonie, les sauvages habitants des bords de l’Ister se souviennent encore de l’Orphée qui parut dans leurs forêts ! Ils viennent danser autour de ses cendres ; ils ont même retenu quelque chose de son langage : tant leur est douce la mémoire de ce Romain, qui s’accusoit d’être le barbare, parce qu’il n’étoit pas entendu du Sarmate !

« Les Francs n’avoient traversé de si vastes contrées qu’afin de visiter quelques tribus de leur nation transportées autrefois par Probus nu bord du Pont-Euxin. Nous apprîmes, en arrivant, que ces tribus avoiont disparu depuis plusieurs mois et qu’on ignoroit ce qu’elles éioient devenues. Mérovée prit à l’instant la résolution de retourner au camp de Pharamond.

« La Providence avoit ordonné que je retrouverois la liberté au tombeau d’Ovide. Lorsque nous repassâmes auprès de ce monument, une louve, qui s’y étoit cachée pour y déposer ses petits, s’élança sur Mérovée. Je tuai cet animal furieux. Dès ce moment mon jeune maître me promit de demander ma liberté à son père. Je devins son compagnon pendant le reste de la chasse. Il me faisoit dormir à ses côtés. Quelquefois je lui parlois de la bataille sanglante où je l’avois vu traîné par trois taureaux indomptés, et il tressailloit de joie au souvenir de sa gloire. Quelquefois aussi je l’entretenois des coutumes et des traditions de mon pays, mais de tout ce que je lui racontois il n’écoutoit avec plaisir que l’histoire des travaux d’Hercule et de Thésée. Quand j’essayois de lui faire comprendre nos arts, il brandissoit sa framée, et me disoit avec impatience : « Grec, Grec, je suis ton maître. »

« Après une absence de plusieurs mois, nous arrivâmes au camp de Pharamond. La hutte royale étoit déserte. Le chef à la longue chevelure avoit eu des hôtes : après avoir prodigué en leur honneur tout ce qu’il possédoit de richesses, il étoit allé vivre dans la cabane d’un chef voisin qui, ruiné à son tour par le monarque barbare, s’étoit établi avec lui chez un autre chef. Nous trouvâmes enfin Pharamond