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en gardant les troupeaux des barbares. Il m’entretenoit souvent des coutumes de nos maîtres ; il me disoit :

« Quand vous serez retourné dans la Grèce, mon cher Eudore, on s’assemblera autour de vous pour vous ouïr conter les mœurs des rois à la longue chevelure. Vos malheurs présents vous deviendront une source d’agréables souvenirs. Vous serez parmi ces peuples ingénieux un nouvel Hérodote, arrivé d’une contrée lointaine pour les enchanter de vos merveilleux récits. Vous leur direz qu’il existe dans les forêts de la Germanie un peuple qui prétend descendre des Troyens (car tous les hommes, ravis des belles fables de vos Hellènes, veulent y tenir par quelque côté) ; que ce peuple, formé de diverses tribus de Germains, les Sicambres, les Bructères, les Saliens, les Cattes, a pris le nom de Franc, qui veut dire libre, et qu’il est digne de porter ce nom.

« Son gouvernement est pourtant essentiellement monarchique. Le pouvoir, partagé entre différents rois, se réunit dans la main d’un seul lorsque le danger est pressant. La tribu des Saliens, dont Pharamond est le chef, a presque toujours l’honneur de commander, parce qu’elle passe parmi les barbares pour la plus noble. Elle doit cette renommée à l’usage qui exclut chez elle les femmes de la puissance et ne confie le sceptre qu’à un guerrier.

« Les Francs s’assemblent une fois l’année, au mois de mars, pour délibérer sur les affaires de la nation. Ils viennent au rendez-vous tout armés. Le roi s’assied sous un chêne. On lui apporte des présents, qu’il reçoit avec beaucoup de joie. Il écoute la plainte de ses sujets ou plutôt de ses compagnons, et rend la justice avec équité.

« Les propriétés sont annuelles. Une famille cultive chaque année le terrain, qui lui est assigné par le prince, et après la récolte le champ moissonné rentre dans la possession commune.

« Le reste des mœurs se ressent de cette simplicité. Vous voyez que nous partageons avec nos maîtres la saie, le lait, le fromage, la maison de terre, la couche de peaux.

« Vous fûtes hier témoin du mariage de Mérovée. Un bouclier, une francisque, un canot d’osier, un cheval bridé, deux bœufs accouplés, ont été les présents de noces de l’héritier de la couronne des Francs. Si, dans les jeux de son âge, il saute mieux qu’un autre au milieu des lances et des épées nues, s’il est brave à la guerre, juste pendant la paix, il peut espérer après sa mort un bûcher funèbre et même une pyramide de gazon pour couvrir son tombeau. »

« Ainsi me parloit Zacharie.