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« Et je répétois :

« Je suis chrétien, je suis chrétien. »

« Pendant cette conversation, la nuit étoit descendue. Nous reprîmes nos fardeaux, et nous retournâmes à la hutte de Pharamond. Le lendemain Zacharie vint me chercher à la pointe du jour. Il me conduisit au fond d’une forêt. Dans le tronc d’un vieux hêtre, où Sécovia, prophétesse des Germains, avoit jadis rendu ses oracles, je vis une petite image qui représentoit Marie, mère du Sauveur. Elle étoit ornée d’une branche de lierre chargée de ses fruits mûrs, et nouvellement placée aux pieds de la Mère et de l’Enfant, car la neige ne l’avoit point encore recouverte.

« Cette nuit même, me dit Zacharie, j’ai appris à l’épouse de notre maître que nous avions un frère parmi nous. Pleine de joie, elle a voulu venir au milieu des ténèbres parer notre autel et offrir cette branche à Marie en signe d’allégresse. »

« Zacharie avoit à peine achevé de prononcer ces mots, que nous vîmes accourir Clothilde. Elle se mit à genoux sur la neige, au pied du hêtre. Nous nous plaçâmes à ses côtés, et elle prononça à haute voix l’oraison du Seigneur dans un idiome sauvage. Ainsi je vis commencer le christianisme chez les Francs. Religion céleste, qui dira les charmes de votre berceau ? Combien il parut divin dans Bethléem aux pasteurs de la Judée ! Qu’il me sembla miraculeux dans les catacombes, lorsque je vis s’humilier devant lui une puissante impératrice ! Et qui n’eût versé des larmes en le retrouvant sous un arbre de la Germanie, entouré, pour tout adorateur, d’un Romain esclave, d’un prisonnier grec et d’une reine barbare !

« Qu’attendois-je pour retourner au bercail ? Les dégoûts avoient commencé à m’avertir de la vanité des plaisirs ; l’ermite du Vésuve avoit ébranlé mon esprit ; Zacharie subjuguoit mon cœur, mais il étoit écrit que je ne reviendrois à la vérité que par une suite de malheurs et d’expériences.

« Zacharie redoubla de zèle et de soin auprès de moi. Je croyois en l’écoutant entendre une voix sortie du ciel. Quelle leçon n’offroit point la seule vue de l’héritier chrétien de Cassius et de Brutus ! Le stoïque meurtrier de César, après une vie courte, libre, puissante et glorieuse, déclare que la vertu n’est qu’un fantôme ; le charitable disciple de Jésus-Christ, esclave, vieux, pauvre, ignoré, proclame qu’il n’y a rien de réel ici-bas que la vertu. Ce prêtre, qui ne paroissoit savoir que la charité, avoit toutefois l’esprit de science et un goût pur des arts et des lettres. Il possédoit les antiquités grecques, hébraïques et latines. C’étoit un charme de l’entendre parler des hommes des anciens jours