Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord à vous tenir caché dans la grotte, afin de vous soustraire à l’esclavage. Elle découvrit ensuite que les Francs alloient continuer leur retraite. Alors il ne lui resta plus qu’à révéler le secret à son époux et à obtenir votre grâce de Pharamond : car, si les barbares aiment les esclaves sains et vigoureux, leur impatience naturelle et le mépris qu’ils ont eux-mêmes pour la vie leur font presque toujours sacrifier les blessés.

« Mon fils, telle est l’histoire de Zacharie. Si vous trouvez qu’il a fait quelque chose pour vous, il ne vous demande en récompense que de ne pas vous laisser abattre par les chagrins, et de souffrir qu’il sauve votre âme après avoir sauvé votre corps. Eudore, vous êtes né dans ce doux climat voisin de la terre des miracles, chez ces peuples polis qui ont civilisé les hommes, dans cette Grèce où le sublime Paul a porté la lumière de la foi : que d’avantages n’avez-vous donc pas sur les hommes du Nord, dont l’esprit est grossier et les mœurs féroces ! Seriez-vous moins sensible qu’eux à la charité évangélique ? »

« Les dernières paroles de Zacharie entrèrent dans mon cœur comme un aiguillon. L’indigne secret de ma vie m’accabloit. Je n’osois lever les yeux sur mon libérateur. Moi qui avois soutenu sans trouble les regards des maîtres du monde, j’étois anéanti devant la majesté d’un vieux prêtre chrétien esclave chez les barbares ! Retenu par la honte de confesser l’oubli que j’avois fait de ma religion, poussé par le désir de tout avouer, mon désordre étoit extrême. Zacharie s’en aperçut. Il crut que mes blessures étoient rouvertes. Il me demanda la cause de mon agitation avec inquiétude. Vaincu par tant de bonté, et les larmes malgré moi se faisant un passage, je me jetai aux pieds du vieillard :

« Ô mon père ! ce ne sont pas les blessures de mon corps qui saignent ; c’est une plaie plus profonde et plus mortelle ! Vous qui faites tant d’actes sublimes au nom de votre religion, pourrez-vous croire, en voyant entre nous si peu de ressemblance, que j’ai la même religion que vous ? »

« Jésus-Christ ! s’écria le saint levant les mains vers le ciel ; Jésus-Christ ! mon divin Maître, quoi ! vous auriez ici un autre serviteur que moi ! »

« Je suis chrétien, » répondis-je.

« L’homme de charité me prend dans ses bras, m’arrose de ses larmes, me presse contre ses cheveux blancs, en disant avec des sanglots de joie :

« Mon frère ! mon cher frère ! J’ai trouvé un frère ! »