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centurions étoient des martyrs couverts des cicatrices du fer et du feu. Que pouvoit contre de tels hommes la crainte des blessures et de la mort ? Ô touchante fidélité ! Ces guerriers alloient répandre pour leurs princes les restes d’un sang dont ces princes avoient presque tari la source ! Aucune frayeur, mais aussi aucune joie ne paroissoit sur le visage des héros chrétiens. Leur valeur tranquille étoit pareille à un lis sans tache. Lorsque la légion s’avança dans la plaine, les Francs se sentirent arrêtés au milieu de leur victoire. Ils ont conté qu’ils voyoient à la tête de cette légion une colonne de feu et de nuées et un cavalier vêtu de blanc, armé d’une lance et d’un bouclier d’or. Les Romains qui fuyoient tournent le visage ; l’espérance revient au cœur du plus foible et du moins courageux : ainsi, après un orage de nuit, quand le soleil du matin paroît dans l’orient, le laboureur rassuré admire l’astre qui répand un doux éclat sur la nature ; sous les lierres de la cabane antique le jeune passereau pousse des cris de joie ; le vieillard vient s’asseoir sur le seuil de la porte : il entend des bruits charmants au-dessus de sa tête, et il bénit l’Éternel.

« À l’approche des soldats du Christ, les barbares serrent leurs rangs, les Romains se rallient. Parvenue sur le champ de bataille, la légion s’arrête, met un genou en terre, et reçoit de la main d’un ministre de paix la bénédiction du Dieu des armées. Constance lui-même ôte sa couronne de laurier, et s’inclme. La troupe sainte se relève, et, sans jeter ses javelots, elle marche l’épée haute à l’ennemi. Le combat recommence de toutes parts. La légion chrétienne ouvre une large brèche dans les rangs des barbares ; Romains, Grecs et Gaulois, nous entrons tous à la suite de Victor dans l’enceinte des Francs, rompus. Aux attaques d’une armée disciplinée succèdent des combats à la manière des héros d’Ilion. Mille groupes de guerriers se heurtent, se choquent, se pressent, se repoussent ; partout règnent la douleur, le désespoir, la fuite. Filles des Francs, c’est en vain que vous préparez le baume pour des plaies que vous ne pourrez guérir ! L’un est frappé au cœur du fer d’une javeline, et sent s’échapper de ce cœur les images chères et sacrées de la patrie ; l’autre a les deux bras brisés du coup d’une massue, et ne pressera plus sur son sein le fils qu’une épouse porte encore à la mamelle. Celui-ci regrette son palais, celui-là sa chaumière ; le premier ses plaisirs, le second ses douleurs, car l’homme s’attache à la vie par ses misères autant que par ses prospérités. Ici, environné de ses compagnons, un soldat païen expire en vomissant des imprécations contre César et contre les dieux. Là, un soldat chrétien meurt isolé, d’une main retenant ses entrailles, de l’autre pressant un crucifix et priant Dieu pour son empereur. Les