Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du fer au palais de Teutatès. Je ne veux point te laisser languir dans une honteuse vieillesse. »

« Qui es-tu ? répondit Mérovée avec un sourire amer : es-tu d’une race noble et antique ? Esclave romain, ne crains-tu point ma framée ? »

« Je ne crains qu’une chose, repartit le Gaulois frémissant de courroux, c’est que le ciel tombe sur ma tête. »

« Cède-moi la terre, » dit l’orgueilleux Sicambre.

« La terre que je te céderai, s’écria le Gaulois, tu la garderas éternellement. »

« À ces mots, Mérovée, s’appuyant sur sa framée, s’élance du char par-dessus les taureaux, tombe à leurs têtes, et se présente au Gaulois, qui venoit à lui.

« Toute l’armée s’arrête pour regarder le combat des deux chefs. Le Gaulois fond l’épée à la main sur le jeune Franc, le presse, le frappe, le blesse à l’épaule et le contraint de reculer jusque sous les cornes des taureaux. Mérovée à son tour lance son angon, qui, par ses deux fers recourbée, s’engage dans le bouclier du Gaulois. Au même instant le fils de Clodion bondit comme un léopard, met le pied sur le javelot, le presse de son poids, le fait descendre vers la terre, et abaisse avec lui le bouclier de son ennemi. Ainsi forcé de se découvrir, l’infortuné Gaulois montre la tête. La hache de Mérovée part, siffle, vole et s’enfonce dans le front du Gaulois, comme la cognée d’un bûcheron dans la cime d’un pin. La tête du guerrier se partage ; sa cervelle se répand des deux côtés, ses yeux roulent à terre. Son corps reste encore un moment debout, étendant des mains convulsives, objet d’épouvante et de pitié.

« À ce spectacle les Gaulois poussent un cri de douleur. Leur chef étoit le dernier descendant de ce Vercingétorix qui balança si longtemps la fortune de Jules. Il sembloit que par cette mort l’empire des Gaules, en échappant aux Romains, passoit aux Francs : ceux-ci, pleins de joie, entourent Mérovée, relèvent sur un bouclier et le proclament roi avec ses pères, comme le plus brave des Sicambres. L’épouvante commence à s’emparer des légions. Constance, qui, du milieu du corps de réserve, suivoit de l’œil les mouvements des troupes, aperçoit le découragement des cohortes. Il se tourne vers la légion chrétienne : « Braves soldats, la fortune de Rome est entre vos mains. Marchons à « l’ennemi. »

« Aussitôt les fidèles abaissent devant César leurs aigles surmontées de l’étendard du salut. Victor commande : la légion s’ébranle et descend en silence de la colline. Chaque soldat porte sur son bouclier une croix entourée de ces mots : « Tu vaincras par ce signe. » Tous les