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brillant du foudre dans la livide clarté d’un orage. Au milieu des cris, des insultes, des menaces, du bruit des épées, des coups des javelots, du sifflement des flèches et des dards, du gémissement des machines de guerre, on n’entend plus la voix des chefs.

« Mérovée avoit fait un massacre épouvantable des Romains. On le voyoit debout sur un immense chariot, avec douze compagnons d’armes, appelés ses douze pairs, qu’il surpassoit de toute la tête. Au-dessus du chariot flottoit une enseigne guerrière, surnommée l’Oriflamme. Le chariot, chargé d’horribles dépouilles, étoit traîné par trois taureaux dont les genoux dégouttoient de sang et dont les cornes portoient des lambeaux affreux. L’héritier de l’épée de Pharamond avoit l’âge, la beauté et la fureur de ce démon de la Thrace, qui n’allume le feu de ses autels qu’au feu des villes embrasées. Mérovée passoit parmi les Francs pour être le fruit merveilleux du commerce secret de l’épouse de Clodion et d’un monstre marin ; les cheveux blonds du jeune Sicambre, ornés d’une couronne de lis, ressembloient au lin moelleux et doré qu’une bandelette virginale rattache à la quenouille d’une reine des barbares. On eût dit que ses joues étoient peintes du vermillon de ces baies d’églantier qui brillent au milieu des neiges dans les forêts de la Germanie. Sa mère avoit noué autour de son cou un collier de coquillages, comme les Gaulois suspendent des reliques aux rameaux du plus beau rejeton d’un bois sacré. Quand de sa main droite Mérovée agitant un drapeau blanc appeloit les fiers Sicambres au champ de l’honneur, ils ne pouvoient s’empêcher de pousser des cris de guerre et d’amour ; ils ne se lassoient point d’admirer à leur tête trois générations de héros : l’aïeul, le père et le fils.

« Mérovée, rassasié de meurtres, contemploit, immobile, du haut de son char de victoire, les cadavres dont il avoit jonché la plaine. Ainsi se repose un lion de Numidie, après avoir déchiré un troupeau de brebis ; sa faim est apaisée, sa poitrine exhale l’odeur du carnage ; il ouvre et ferme tour à tour sa gueule fatiguée qu’embarrassent des flocons de laine ; enfin il se couche au milieu des agneaux égorgés ; sa crinière, humectée d’une rosée de sang, retombe des deux côtés de son cou ; il croise ses griffes puissantes ; il allonge la tête sur ses ongles, et, les yeux à demi fermés, il lèche encore les molles toisons étendues autour de lui.

« Le chef des Gaulois aperçut Mérovée dans ce repos insultant et superbe. Sa fureur s’allume ; il s’avance vers le fils de Pharamond ; il lui crie d’un ton ironique :

« Chef à la longue chevelure, je vais t’asseoir autrement sur le trône d’Hercule le Gaulois. Jeune brave, tu mérites d’emporter la marque