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vagues qui fuient et murmurent le long de ses flancs. Non moins braves et plus habiles que les Gaulois, les Grecs font pleuvoir sur les Sicambres une grêle de flèches ; et reculant peu à peu sans rompre nos rangs, nous fatiguons les deux lignes du triangle de l’ennemi. Comme un taureau vainqueur dans cent pâturages, fier de sa corne mutilée et des cicatrices de sa large poitrine, supporte avec impatience la piqûre du taon, sous les ardeurs du midi, ainsi les Francs, percés de nos dards, deviennent furieux à ces blessures sans vengeance et sans gloire. Transportés d’une aveugle rage, ils brisent le trait dans leur sein, se roulent par terre et se débattent dans les angoisses de la douleur.

« La cavalerie romaine s’ébranle pour enfoncer les barbares. Clodion se précipite à sa rencontre. Le roi chevelu pressoit une cavale stérile, moitié blanche, moitié noire, élevée parmi des troupeaux de rennes et de chevreuils, dans le haras de Pharamond. Les barbares prétendoient qu’elle étoit de la race de Rinfax, cheval de la Nuit, à la crinière gelée, et de Skinfax, cheval du Jour, à la crinière lumineuse. Lorsque, pendant l’hiver, elle emportoit son maître sur un char d’écorce sans essieu et sans roues, jamais ses pieds ne s’enfonçoient dans les frimas, et, plus légère que la feuille de bouleau roulée par le vent, elle effleuroit à peine la cime des neiges nouvellement tombées.

« Un combat violent s’engage entre les cavaliers sur les deux ailes des armées.

« Cependant la masse effrayante de l’infanterie des barbares vient toujours roulant vers les légions. Les légions s’ouvrent, changent leur front de bataille, attaquent à grands coups de pique les deux côtés du triangle de l’ennemi. Les vélites, les Grecs et les Gaulois se portent sur le troisième côté. Les Francs sont assiégés comme une vaste forteresse. La mêlée s’échauffe ; un tourbillon de poussière rougie s’élève et s’arrête au milieu des combattants. Le sang coule comme les torrents grossis par les pluies de l’hiver, comme les flots de l’Euripe dans le détroit de l’Eubée. Le Franc, fier de ses larges blessures, qui paroissent avec plus d’éclat sur la blancheur d’un corps demi-nu, est un spectre déchaîné du monument et rugissant au milieu des morts. Au brillant éclat des armes a succédé la sombre couleur de la poussière et du carnage. Les casques sont brisés, les panaches abattus, les boucliers fendus, les cuirasses percées. L’haleine enflammée de cent mille combattants, le souffle épais des chevaux, la vapeur des sueurs et du sang, forment sur le champ de bataille une espèce de météore que traverse de temps en temps la lueur d’un glaive, comme le trait