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« Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs, combien ne vaincrons-nous pas de millions de Perses ! »

« Les Grecs répètent en chœur le Pœan, et les Gaulois l’hymne des Druides. Les Francs répondent à ces cantiques de mort : ils serrent leurs boucliers contre leur bouche, et font entendre un mugissement semblable au bruit de la mer que le vent brise contre un rocher ; puis tout à coup, poussant un cri aigu, ils entonnent le bardit à la louange de leurs héros :

« Pharamond ! Pharamond ! nous avons combattu avec l’épée.

« Nous avons lancé la francisque à deux tranchants ; la sueur tomboit du front des guerriers et ruisseloit le long de leurs bras. Les aigles et les oiseaux aux pieds jaunes poussoient des cris de joie ; le corbeau nageoit dans le sang des morts ; tout l’Océan n’étoit qu’une plaie : les vierges ont pleuré longtemps !

« Pharamond ! Pharamond ! nous avons combattu avec l’épée.

« Nos pères sont morts dans les batailles, tous les vautours en ont gémi ; nos pères les rassasioient de carnage ! Choisissons des épouses dont le lait soit du sang et qui remplissent de valeur le cœur de nos fils. Pharamond, le bardit est achevé, les heures de la vie s’écoulent, nous sourirons quand il faudra mourir ! »

« Ainsi chantoient quarante mille barbares. Leurs cavaliers haussoient et baissoient leurs boucliers blancs en cadence, et à chaque refrain ils frappoient du fer d’un javelot leur poitrine couverte de fer.

« Déjà les Francs sont à la portée du trait de nos troupes légères. Les deux armées s’arrêtent. Il se fait un profond silence. César, du milieu de la légion chrétienne, ordonne d’élever la cotte d’armes de pourpre, signal du combat ; les archers tendent leurs arcs, les fantassins baissent leurs piques, les cavaliers tirent tous à la fois leurs épées, dont les éclairs se croisent dans les airs. Un cri s’élève du fond des légions : « Victoire à l’empereur ! » Les barbares repoussent ce cri par un affreux mugissement : la foudre éclate avec moins de rage sur les sommets de l’Apennin, l’Etna gronde avec moins de violence lorsqu’il verse au sein des mers des torrents de feu, l’Océan bat ses rivages avec moins de fracas quand un tourbillon, descendu par l’ordre de l’Éternel, a déchaîné les cataractes de l’abîme.

« Les Gaulois lancent les premiers leurs javelots contre les Francs, mettent l’épée à la main et courent à l’ennemi. L’ennemi les reçoit avec intrépidité. Trois fois ils retournent à la charge ; trois fois ils viennent se briser contre le vaste corps qui les repousse : tel un grand vaisseau, voguant par un vent contraire, rejette de ses deux bords les