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« Des intervalles ménagés dans la ligne des légions étoient remplis par des machines de guerre.

« À l’aile gauche de ces légions, la cavalerie des alliés déployoit son rideau mobile. Sur des coursiers tachetés comme des tigres et prompts comme des aigles se balançoient avec grâce les cavaliers de Numance, de Sagonte et des bords enchantés du Bétis. Un léger chapeau de plume ombrageoit leur front, un petit manteau de laine noire flottoit sur leurs épaules, une épée recourbée retentissoit à leur côté. La tête penchée sur le cou de leurs chevaux, les rênes entre les dents, deux courts javelots à la main, ils voloient à l’ennemi. Le jeune Viriate entraînoit après lui la fureur de ces cavaliers rapides. Des Germains d’une taille gigantesque étoient entremêlés çà et là, romme des tours, dans le brillant escadron. Ces barbares avoient la tête enveloppée d’un bonnet ; ils manioient d’une main une massue de chêne et montoient à cru des étalons sauvages. Auprès d’eux, quelques cavaliers numides, n’ayant pour toute arme qu’un arc, pour tout vêtement qu’une chlamyde, frissonnoient sous un ciel rigoureux.

« À l’aile opposée de l’armée se tenoit immobile la troupe superbe des chevaliers romains : leur casque étoit d’argent, surmonté d’une louve de vermeil ; leur cuirasse étinceloit d’or, et un large baudrier d’azur suspendoit à leur flanc une lourde épée ibérienne. Sous leurs selles ornées d’ivoire s’étendoit une housse de pourpre, et leurs mains, couvertes de gantelets, tenoiont les rênes de soie qui leur servoient à guider de hautes cavales plus noires que la nuit.

« Les archers crétois, les vélites romains et les différents corps des Gaulois étoient répandus sur le front de l’armée. L’instinct de la guerre est si naturel chez ces derniers, que souvent, dans la mêlée, les soldats deviennent des généraux, rallient leurs compagnons dispersés, ouvrent un avis salutaire, indiquent le poste qu’il faut prendre. Rien n’égale l’impétuosité de leurs attaques : tandis que le Germain délibère, ils ont franchi les torrents et les monts ; vous les croyez au pied de la citadelle, et ils sont au haut du retranchement emporté. En vain les cavaliers les plus légers voudroient les devancer à la charge, les Gaulois rient de leurs efforts, voltigent à la tête des chevaux et semblent leur dire : « Vous saisiriez plutôt les vents sur la plaine, ou les oiseaux dans les airs. »

« Tous ces barbares avoient la tête élevée, les couleurs vives, les yeux bleus, le regard farouche et menaçant ; ils portoient de larges braies, et leur tunique étoit chamarrée de morceaux de pourpre ; un ceinturon de cuir pressoit à leur côté leur fidèle épée. L’épée du Gaulois ne le quitte jamais : mariée, pour ainsi dire, à