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une marque de faiblesse, les Chéroquois amenèrent à ses pieds un sauvage chrétien qu’ils avaient horriblement mutilé. Mais ils furent bien surpris quand ils virent le jeune homme se jeter à genoux et baiser les plaies du vieil ermite, qui lui criait : « Mon enfant, nous avons été mis en spectacle aux anges et aux hommes. » Les Indiens furieux lui plongèrent un fer rouge dans la gorge pour l’empêcher de parler. Alors, ne pouvant plus consoler les hommes, il expira.

« On dit que les Chéroquois, tout accoutumés qu’ils étaient à voir des sauvages souffrir avec constance, ne purent s’empêcher d’avouer qu’il y avait dans l’humble courage du père Aubry quelque chose qui leur était inconnu et qui surpassait tous les courages de la terre. Plusieurs d’entre eux, frappés de cette mort, se sont faits chrétiens.

« Quelques années après, Chactas, à son retour de la terre des blancs, ayant appris les malheurs du chef de la prière, partit pour aller recueillir ses cendres et celles d’Atala. Il arriva à l’endroit où était située la Mission, mais il put à peine le reconnaître. Le lac s’était débordé et la savane était changée en un marais ; le pont naturel, en s’écroulant, avait enseveli sous ses débris le tombeau d’Atala et les Bocages de la mort. Chactas erra longtemps dans ce lieu ; il visita la grotte du Solitaire, qu’il trouva remplie de ronces et de framboisiers, et dans laquelle une biche allaitait son faon. Il s’assit sur le rocher de la Veillée de la mort, où il ne vit que quelques plumes tombées de l’aile de l’oiseau de passage. Tandis qu’il y pleurait, le serpent familier du missionnaire sortit des broussailles voisines, et vint s’entortiller à ses pieds. Chactas réchauffa dans son sein ce fidèle ami, resté seul au milieu de ces ruines. Le fils d’Outalissi a raconté que plusieurs fois, aux approches de la nuit, il avait cru voir les ombres d’Atala et du père Aubry s’élever dans la vapeur du crépuscule. Ces visions le remplirent d’une religieuse frayeur et d’une joie triste.

« Après avoir cherché vainement le tombeau de sa sœur et celui de l’ermite, il était près d’abandonner ces lieux, lorsque la biche de la grotte se mit à bondir devant lui. Elle s’arrêta au pied de la croix de la Mission. Cette croix était alors à moitié entourée d’eau ; son bois était rongé de mousse, et le pélican du désert aimait à se percher sur ses bras vermoulus. Chactas jugea que la biche reconnaissante l’avait conduit au tombeau de son hôte. Il creusa sous la roche qui jadis servait d’autel, et il y trouva les restes d’un homme et d’une femme. Il ne douta point que ce ne fussent ceux du prêtre et de la vierge, que les anges avaient peut-être ensevelis dans ce lieu ; il les