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Meschacebé ; allez consoler votre mère, qui vous pleure tous les jours et qui a besoin de votre appui. Faites-vous instruire dans la religion de votre Atala, lorsque vous en trouverez l’occasion, et souvenez-vous que vous lui avez promis d’être vertueux et chrétien. Moi, je veillerai ici sur son tombeau. Partez, mon fils. Dieu, l’âme de votre sœur et le cœur de votre vieil ami vous suivront. »

« Telles furent les paroles de l’homme du rocher ; son autorité était trop grande, sa sagesse trop profonde, pour ne lui obéir pas. Dès le lendemain je quittai mon vénérable hôte, qui, me pressant sur son cœur, me donna ses derniers conseils, sa dernière bénédiction et ses dernières larmes. Je passai au tombeau ; je fus surpris d’y trouver une petite croix qui se montrait au-dessus de la mort, comme on aperçoit encore le mât d’un vaisseau qui a fait naufrage. Je jugeai que le solitaire était venu prier au tombeau pendant la nuit : cette marque d’amitié et de religion fit couler mes pleurs en abondance. Je fus tenté de rouvrir la fosse et de voir encore une fois ma bien-aimée ; une crainte religieuse me retint. Je m’assis sur la terre fraîchement remuée. Un coude appuyé sur mes genoux et la tête soutenue dans ma main, je demeurai enseveli dans la plus amère rêverie. Ô René ! c’est là que je fis pour la première fois des réflexions sérieuses sur la vanité de nos jours et la plus grande vanité de nos projets ! Eh, mon enfant ! qui ne les a point faites, ces réflexions ? Je ne suis plus qu’un vieux cerf blanchi par les hivers ; mes ans le disputent à ceux de la corneille : eh bien, malgré tant de jours accumulés sur ma tête, malgré une si longue expérience de la vie, je n’ai point encore rencontré d’homme qui n’eût été trompé dans ses rêves de félicité, point de cœur qui n’entretînt une plaie cachée. Le cœur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel de la savane Alachua : la surface en paraît calme et pure, mais quand vous regardez au fond du bassin, vous apercevez un large crocodile, que le puits nourrit dans ses eaux.

« Ayant ainsi vu le soleil se lever et se coucher sur ce lieu de douleur, le lendemain, au premier cri de la cigogne, je me préparai à quitter la sépulture sacrée. J’en partis comme de la borne d’où je voulais m’élancer dans la carrière de la vertu. Trois fois j’évoquai l’âme d’Atala ; trois fois le Génie du désert répondit à mes cris sous l’arche funèbre. Je saluai ensuite l’orient, et je découvris au loin, dans les sentiers de la montagne, l’ermite qui se rendait à la cabane de quelque infortuné. Tombant à genoux et embrassant étroitement la fosse, je m’écriai : « Dors en paix dans cette terre étrangère, fille trop malheureuse ! Pour prix de ton amour, de ton exil et de ta mort, tu