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nesse au service de l’humanité, à l’éducation des enfants et aux chefs-d’œuvre de la pénitence. Venez, rose mystique, vous reposer sur le sein de Jésus-Christ. Ce cercueil, lit nuptial que vous vous êtes choisi, ne sera point trompé, et les embrassements de votre céleste époux ne finiront jamais ! »

« Comme le dernier rayon du jour abat les vents et répand le calme dans le ciel, ainsi la parole tranquille du vieillard apaisa les passions dans le sein de mon amante. Elle ne parut plus occupée que de ma douleur et des moyens de me faire supporter sa perte. Tantôt elle me disait qu’elle mourrait heureuse si je lui promettais de sécher mes pleurs ; tantôt elle me parlait de ma mère, de ma patrie ; elle cherchait à me distraire de la douleur présente en réveillant en moi une douleur passée. Elle m’exhortait à la patience, à la vertu. « Tu ne seras pas toujours malheureux, disait-elle : si le ciel t’éprouve aujourd’hui, c’est seulement pour te rendre plus compatissant aux maux des autres. Le cœur, ô Chactas ! est comme ces sortes d’arbres qui ne donnent leur baume pour les blessures des hommes que lorsque le fer les a blessés eux-mêmes. »

« Quand elle avait ainsi parlé, elle se tournait vers le missionnaire, cherchait auprès de lui le soulagement qu’elle m’avait fait éprouver, et, tour à tour consolante et consolée, elle donnait et recevait la parole de vie sur la couche de la mort.

« Cependant l’ermite redoublait de zèle. Ses vieux os s’étaient rallumés par l’ardeur de la charité, et toujours préparant des remèdes, rallumant le feu, rafraîchissant la couche, il faisait d’admirables discours sur Dieu et sur le bonheur des justes. Le flambeau de la religion à la main, il semblait précéder Atala dans la tombe, pour lui en montrer les secrètes merveilles. L’humble grotte était remplie de la grandeur de ce trépas chrétien, et les esprits célestes étaient sans doute attentifs à cette scène où la religion luttait seule contre l’amour, la jeunesse et la mort.

« Elle triomphait, cette religion divine, et l’on s’apercevait de sa victoire à une sainte tristesse qui succédait dans nos cœurs aux premiers transports des passions. Vers le milieu de la nuit, Atala sembla se ranimer pour répéter des prières que le religieux prononçait au bord de sa couche. Peu de temps après elle me tendit la main, et avec une voix qu’on entendait à peine, elle me dit : « Fils d’Outalissi, te rappelles-tu cette première nuit où tu me pris pour la Vierge des dernières amours ? Singulier présage de notre destinée ! » Elle s’arrêta, puis elle reprit : « Quand je songe que je te quitte pour toujours, mon cœur fait un tel effort pour revivre, que je me sens