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jouirais avec toi, avec Chactas chrétien… consolée, rassurée par ce prêtre auguste… dans ce désert… pour toujours… oh ! c’eût été trop de félicité ! » — « Calme-toi, lui dis-je en saisissant une des mains de l’infortunée ; calme-toi, ce bonheur, nous allons le goûter. » — « Jamais ! jamais ! » dit Atala. — « Comment ? » repartis-je. — « Tu ne sais pas tout, s’écria la vierge : c’est hier… pendant l’orage… J’allais violer mes vœux : j’allais plonger ma mère dans les flammes de l’abîme ; déjà sa malédiction était sur moi, déjà je mentais au Dieu qui m’a sauvé la vie… Quand tu baisais mes lèvres tremblantes, tu ne savais pas que tu n’embrassais que la mort ! » — « Ô ciel ! s’écria le missionnaire, chère enfant, qu’avez-vous fait ? » — « Un crime, mon père, dit Atala les yeux égarés ; mais je ne perdais que moi, et je sauvais ma mère. » — « Achève donc,  » m’écriai-je plein d’épouvante. — « Eh bien ! dit-elle, j’avais prévu ma faiblesse ; en quittant les cabanes, j’ai emporté avec moi… » — « Quoi ? » repris-je avec horreur. — « Un poison ? » dit le père. « Il est dans mon sein, » s’écria Atala.

« Le flambeau échappe de la main du solitaire, je tombe mourant près de la fille de Lopez ; le vieillard nous saisit l’un et l’autre dans ses bras, et tous trois, dans l’ombre, nous mêlons un moment nos sanglots sur cette couche funèbre.

« Réveillons-nous, réveillons-nous ! dit bientôt le courageux ermite en allumant une lampe. Nous perdons des moments précieux ; intrépides chrétiens, bravons les assauts de l’adversité : la corde au cou, la cendre sur la tête, jetons-nous aux pieds du Très-Haut pour implorer sa clémence, pour nous soumettre à ses décrets. Peut-être est-il temps encore. Ma fille, vous eussiez dû m’avertir hier au soir. »

— « Hélas ! mon père, dit Atala, je vous ai cherché la nuit dernière, mais le ciel, en punition de mes fautes, vous a éloigné de moi. Tout secours eût d’ailleurs été inutile, car les Indiens mêmes, si habiles dans ce qui regarde les poisons, ne connaissent point de remède à celui que j’ai pris. Ô Chactas ! juge de mon étonnement quand j’ai vu que le coup n’était pas aussi subit que je m’y attendais ! Mon amour a redoublé mes forces, mon âme n’a pu si vite se séparer de toi. »

« Ce ne fut plus ici par des sanglots que je troublai le récit d’Atala, ce fut par ces emportements qui ne sont connus que des sauvages. Je me roulai furieux sur la terre en me tordant les bras et en me dévorant les mains. Le vieux prêtre, avec une tendresse merveilleuse, courait du frère à la sœur, et nous prodiguait mille secours. Dans le