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vice as-tu rendu ? Quel bien as-tu fait ? Eh, malheureux ! tu ne m’offres que des passions, et tu oses accuser le ciel ! Quand tu auras, comme le père Aubry, passé trente années exilé sur les montagnes, tu sera moins prompt à juger des desseins de la Providence ; tu comprendras alors que tu ne sais rien, que tu n’es rien, et qu’il n’y a point de châtiments si rigoureux, point de maux si terribles, que la chair corrompue ne mérite de souffrir. »

« Les éclairs qui sortaient des yeux du vieillard, sa barbe qui frappait sa poitrine, ses paroles foudroyantes le rendaient semblable à un dieu. Accablé de sa majesté, je tombai à ses genoux, et lui demandai pardon de mes emportements. « Mon fils, me répondit-il avec un accent si doux que le remords entra dans mon âme, mon fils, ce n’est pas pour moi-même que je vous ai réprimandé. Hélas ! vous avez raison, mon cher enfant : je suis venu faire bien peu de chose dans ces forêts, et Dieu n’a pas de serviteur plus indigne que moi. Mais, mon fils, le ciel, le ciel, voilà ce qu’il ne faut jamais accuser ! Pardonnez-moi si je vous ai offensé, mais écoutons votre sœur. Il y a peut-être du remède, ne nous lassons point d’espérer. Chactas, c’est une religion bien divine que celle-là qui a fait une vertu de l’espérance ! »

«  — Mon jeune ami, reprit Atala, tu as été témoin de mes combats, et cependant tu n’en as vu que la moindre partie ; je te cachais le reste. Non, l’esclave noir qui arrose de ses sueurs les sables ardents de la Floride est moins misérable que n’a été Atala. Te sollicitant à la fuite, et pourtant certaine de mourir si tu t’éloignais de moi ; craignant de fuir avec toi dans les déserts, et cependant haletant après l’ombrage des bois… Ah ! s’il n’avait fallu que quitter parents, amis, patrie ; si même (chose affreuse) il n’y eût eu que la perte de mon âme !… Mais ton ombre, ô ma mère ! ton ombre était toujours là, me reprochant ses tourments ! J’entendais tes plaintes, je voyais les flammes de l’enfer te consumer. Mes nuits étaient arides et pleines de fantômes, mes jours étaient désolés ; la rosée du soir séchait en tombant sur ma peau brûlante ; j’entrouvrais mes lèvres aux brises, et les brises, loin de m’apporter la fraîcheur, s’embrasaient du feu de mon souffle. Quel tourment de te voir sans cesse auprès de moi, loin de tous les hommes, dans de profondes solitudes, et de sentir entre toi et moi une barrière invincible ! Passer ma vie à tes pieds, te servir comme ton esclave, apprêter ton repas et ta couche dans quelque coin ignoré de l’univers, eût été pour moi le bonheur suprême ; ce bonheur, j’y touchais, et je ne pouvais en jouir. Quel dessein n’ai-je point rêvé ! Quel songe n’est point sorti