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et retrouvant mes forces, je m’élançai, dans la nuit de la caverne… Esprits de mes pères, vous savez seuls le spectacle qui frappa mes yeux !

« Le solitaire avait allumé un flambeau de pin ; il le tenait d’une main tremblante au-dessus de la couche d’Atala. Cette belle et jeune femme, à moitié soulevée sur le coude, se montrait pâle et échevelée. Les gouttes d’une sueur pénible brillaient sur son front ; ses regards à demi éteints cherchaient encore à m’exprimer son amour, et sa bouche essayait de sourire. Frappé comme d’un coup de foudre, les yeux fixés, les bras étendus, les lèvres entr'ouvertes, je demeurai immobile. Un profond silence règne un moment parmi les trois personnages de cette scène de douleur. Le solitaire le rompt le premier : « Ceci, dit-il, ne sera qu’une fièvre occasionnée par la fatigue, et si nous nous résignons à la volonté de Dieu, il aura pitié de nous. »

« À ces paroles, le sang suspendu reprit son cours dans mon cœur, et, avec la mobilité du sauvage, je passai subitement de l’excès de la crainte à l’excès de la confiance. Mais Atala ne m’y laissa pas longtemps. Balançant tristement la tête, elle nous fit signe de nous approcher de sa couche.

« Mon père, dit-elle d’une voix affaiblie en s’adressant au religieux, je touche au moment de la mort. Ô Chactas ! écoute sans désespoir le funeste secret que je t’ai caché, pour ne pas te rendre trop misérable et pour obéir à ma mère. Tâche de ne pas m’interrompre par des marques d’une douleur qui précipiterait le peu d’instants que j’ai à vivre. J’ai beaucoup de choses à raconter, et aux battements de ce cœur, qui se ralentissent… à je ne sais quel fardeau glacé que mon sein soulève à peine… je sens que je ne me saurais trop hâter. »

« Après quelques moments de silence, Atala poursuivit ainsi :

« Ma triste destinée a commencé presque avant que j’eusse vu la lumière. Ma mère m’avait conçue dans le malheur ; je fatiguais son sein, et elle me mit au monde avec de grands déchirements d’entrailles ; on désespéra de ma vie. Pour sauver mes jours, ma mère fit un vœu, elle promit à la Reine des Anges que je lui consacrerais ma virginité si j’échappais à la mort… Vœu fatal, qui me précipite au tombeau !

« J’entrais dans ma seizième année, lorsque je perdis ma mère. Quelques heures avant de mourir, elle m’appela au bord de sa couche. « Ma fille, me dit-elle en présence d’un missionnaire qui consolait ses derniers instants ; ma fille, tu sais le vœu que j’ai fait pour toi. Voudrais-tu démentir ta mère ? Ô mon Atala ! je te laisse dans