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Cicéron étoit non seulement un grand orateur, mais encore un grand écrivain, comme César était un grand historien et un grand poëte.

De ces considérations (que, pour le dire encore une fois, je présente dans un intérêt général, nullement dans celui de ma vanité), je passe à l’historique de mes poésies.

Si j’avois voulu tout imprimer, le public n’en auroit pas été quitte à moins de deux ou trois gros volumes. Je faisois des vers au collège, et j’ai continué d’en faire jusqu’à ce jour : je me suis gardé de les montrer aux gens. Les Muses ont été pour moi des divinités de famille, des Lares que je n’adorois qu’à mes foyers.

Les poésies, en très petit nombre, que je me suis déterminé à conserver sont divisées en deux classes, savoir : les poésies échappées à ma première jeunesse, et celles que j’ai composées aux différentes époques de ma vie. J’en ai marqué les dates autant que possible, afin qu’on pût suivre dans mes vers, comme on a suivi dans ma prose, l’ordre chronologique des idées et le développement graduel de l’art.

Tous mes premiers vers, sans exception, sont inspirés par l’amour des champs ; ils forment une suite de petites idylles sans moutons, et où l’on trouve à peine un berger. J’ai compris les vers de 1784 à 1790 sous ce titre : Tableaux de la Nature. Je n’ai rien ou presque rien changé à ces vers : composés à une époque où Dorat avoit gâté le goût des jeunes poëtes, ils n’ont rien de maniéré, quoique la langue y soit quelquefois fortement invertie ; ils sont d’ailleurs coupés avec une liberté de césure que l’on ne se permettoit guère alors. Les rimes sont soignées, les mètres variés, quoique disposés à se former en dix syllabes. On retrouve dans ces essais de ma Muse des descriptions que j’ai transportées depuis dans ma prose.

C’est dans ces idylles d’une espèce nouvelle que le lecteur rencontrera les premières lignes qui aient jamais été imprimées de moi. Le neuvième tableau fut inséré dans l’Almanach des Muses de 1790 ; il y figure à la page 205 sous ce titre, que je lui ai conservé : l’Amour de la campagne, par le chevalier de C***. On en parla dans la société de Ginguené, de Lebrun, de Chamfort, de Parny, de Flins, de La Harpe et de Fontanes, avec lesquels j’avois des liaisons plus ou moins étroites. Je prenois mal mon temps pour faire Ma veille des armes dans l’Almanach des Muses : on étoit déjà en pleine révolution, et ce n’étoit plus avec des quatrains qu’on pouvait aller à la renommée.

Voici ce que je lis dans les Mémoires inédits de ma vie, au sujet de mon début dans la carrière littéraire. Après avoir fait le tableau des diverses sociétés de Paris à cette époque et le portrait des principaux acteurs, je dis :