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du mobile édifice, jamais les merveilles de l’ancien Monde n’ont approché de ce monument du désert.

« Chaque soir nous allumions un grand feu et nous bâtissions la hutte du voyage avec une écorce élevée sur quatre piquets. Si j’avais tué une dinde sauvage, un ramier, un faisan des bois, nous le suspendions devant le chêne embrasé, au bout d’une gaule plantée en terre, et nous abandonnions au vent le soin de tourner la proie du chasseur. Nous mangions des mousses appelées tripes de roche, des écorces sucrées de bouleau, et des pommes de mai, qui ont le goût de la pêche et de la framboise. Le noyer noir, l’érable, le sumac, fournissaient le vin à notre table. Quelquefois j’allais chercher parmi les roseaux une plante dont la fleur allongée en cornet contenait un verre de la plus pure rosée. Nous bénissions la Providence, qui sur la faible tige d’une fleur avait placé cette source limpide au milieu des marais corrompus, comme elle a mis l’espérance au fond des cœurs ulcérés par le chagrin, comme elle a fait jaillir la vertu du sein des misères de la vie !

« Hélas ! je découvris bientôt que je m’étais trompé sur le calme apparent d’Atala. À mesure que nous avancions, elle devenait triste. Souvent elle tressaillait sans cause et tournait précipitamment la tête. Je la surprenais attachant sur moi un regard passionné qu’elle reportait vers le ciel avec une profonde mélancolie. Ce qui m’effrayait surtout était un secret, une pensée cachée au fond de son âme, que j’entrevoyais dans ses yeux. Toujours m’attirant et me repoussant, ranimant et détruisant mes espérances quand je croyais avoir fait un peu de chemin dans son cœur, je me retrouvais au même point. Que de fois elle m’a dit : « Ô mon jeune amant ! je t’aime comme l’ombre des bois au milieu du jour ! Tu es beau comme le désert avec toutes ses fleurs et toutes ses brises. Si je me penche sur toi, je frémis ; si ma main tombe sur la tienne, il me semble que je vais mourir. L’autre jour le vent jeta tes cheveux sur mon visage tandis que tu te délassais sur mon sein, je crus sentir le léger toucher des Esprits invisibles. Oui, j’ai vu les chevrettes de la montagne d’Occone, j’ai entendu les propos des hommes rassasiés de jours : mais la douceur des chevreaux et la sagesse des vieillards sont moins plaisantes et moins fortes que tes paroles. Eh bien, pauvre Chactas, je ne serai jamais ton épouse ! »

« Les perpétuelles contradictions de l’amour et de la religion d’Atala, l’abandon de sa tendresse et la chasteté de ses mœurs, la fierté de son caractère et sa profonde sensibilité, l’élévation de son âme dans les grandes choses, sa susceptibilité dans les petites,